01 octobre 2024 – Au petit matin.
« Alors que le jour se lève, il est venu esquisser quelques pas de danse, accompagnés de sa grosse voix. Sa nuit a été assez agitée et la mienne était à l’écoute. Je n’ai pas eu vraiment l’impression d’avoir dormi et pourtant, j’ai dû au moins m’assoupir. » Ce Quatorze cors irrégulier m’a offert un magnifique show.
04 octobre – Biche et son faon, avec son cimier hérissé – On s’est surpris, mais aucune panique.
La période du brame me comble, avec de beaux souvenirs comme ceux-ci mais elle m’apporte également des regrets de plus en plus grandissants. Je vois bien que les choses sont en train de changer et apparemment, je ne suis pas le seul. A l’autre bout de l’Hexagone, dans le Haut-Rhin (Grand Est), la Fédération départementale des chasseurs et les naturalistes de l’association Sauvegarde Faune sauvage ont lancé conjointement ce mois-ci une pétition pour la biodiversité et la sauvegarde de la faune sauvage, en particulier celle des grands cerfs directement menacés.
J’ai fait cette année peu de photos. La raison en est très simple : le comportement des cervidés évolue avec le comportement de l’homme. Je ne vous montrerai pas de « décrochements de mâchoires », cela résume bien trop souvent le brame. Notre présence a pris de l’importance dans les Pyrénées, en courant, en VTT, en 4 x 4, etc. La cueillette des champignons et autres activités récréatives ont également pris de l’essor avec le séjour sur place en véhicule aménagé.
Depuis le confinement, on a constaté un peu partout en France une recrudescence du nombre de chiens en forêt et de personnes qui redécouvrent la nature à la journée. Un soir juste avant la tombée de la nuit, j’ai pris part à la conversation entre une dame qui avait perdu son chien et une famille d’éleveurs qui effectuait sa visite journalière au bétail encore dans les estives. Cette famille était inquiète car elle avait des brebis dans ce secteur-là. La nuit est arrivée et le chien n’était toujours pas revenu, malgré les appels de proches de la dame appelés à la rescousse. Je ne connais pas la suite : avec tout ce tintamarre, la soirée était finie pour moi.
Certains gestionnaires de l’espace public sont confrontés aux changements occasionnés par cet afflux parfois trop important et prennent des mesures pour le mieux vivre ensemble, en canalisant les activités et en communiquant sur les bonnes pratiques. Mon vécu m’incite à penser que les dérangements sont le plus souvent dus a la méconnaissance des mœurs de la faune.
08 octobre – Un matin de brame. La nuit a été plus animée que le lever du jour.
Le marché de la photo animalière a explosé ; il est aujourd’hui à la portée de beaucoup de monde. Les concours photos, les expositions, les livres, etc. sont des objectifs pour un grand nombre. De plus en plus de personnes sont tentées d’en vivre, du moins en partie.
Celui des pièges photographiques n’est pas en reste : il est d’ailleurs devenu presque illusoire de croire que votre camera ne sera pas un jour repérée, même dans des endroits pensés difficilement accessibles. La faune est surveillée et traquée, parfois en oubliant que la pose de ces pièges nécessite l’autorisation du propriétaire des lieux, qu’il soit privé ou collectivité territoriale.
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L’an dernier (brame 2023), j’avais déjà observé des comportements inappropriés de photographes sur les places de brame. Cela s’est confirmé cette année et ce phénomène s’amplifie. En voici un exemple :
Brame 2022 – Biches et cerfs font leur show sur cette place depuis plusieurs années déjà, sans être dérangés. Ce rocher, au premier-plan, permet de localiser les photos qui suivent.
Ce magnifique cerf est le dominant de la place ; un Huit cors régulier.
Une autre partie des biches, à droite du rocher.
Ce nouveau cerf n’a plus ses bois, cassés au cours d’un combat. Le Huit cors a disparu de la place, fatigué par le brame ou peut-être vaincu?
Il reste des biches à féconder et il n’a rien perdu de sa vigueur.
14 octobre 2022 – Fin de la période du brame sur la place ; le décoiffé laisse approcher les petits cerfs, dont celui-ci qui retrouve peut-être sa mère. Le 16, j’ai contrôlé la place : tout le monde est parti.
Brame 2023 – Les animaux sont poursuivis sur l’estive par des photographes, qui heureusement se camouflent (en bas à droite, têtes floutées).
Brame 2024 – La place de brame est devenue un lieu d’observation à découvert. Les animaux restent sur les hauteurs (quand ils n’y sont pas dérangés) et dans les vallons annexes, où ils sont également poursuivis. Le rocher, lui, est toujours là.
Biches et cerfs ont déserté cette place pendant tout le brame.
Un Renard roux, furtif, passait par là. En laissant les animaux vivre leur vie, on pourrait continuer à assister à ce genre de spectacle sympathique, dont tout le monde pourrait profiter à distance.
Certains vont directement au contact en « planquant » très tôt en journée sur la place de brame et en revenant au parking bien après la tombée de la nuit, à la frontale ; ce sont des fantômes pour l’humain, mais pas pour la faune. Ce comportement individualiste qui était minoritaire se banalise. Bref, tout se joue aujourd’hui pratiquement sur la place et non plus en périphérie à distance respectable. La téléphonie, qui passe de mieux en mieux, favorise également les déplacements humains.
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22 septembre 2024 – Une place de brame dans une fougeraie, située sur un territoire protégé du Pays basque. Le cerf et les biches sont dans le décor, il faut les chercher.
A part le « Quatorze cors irrégulier » au petit matin du 1er octobre et quelques magnifiques mâles au Pays basque observés à distance sur une zone à l’accès interdit au public, je n’ai pas observé de grand cerf qui m’ait impressionné. C’est la première fois en douze ans et les raisons en sont certainement multiples. En ce qui me concerne, les faits sont là : grands mâles quasi-absents et beaucoup plus de monde.
Les raires des cerfs résonnent d’un versant à l’autre ; on peut les localiser avec une longue-vue.
Cela devient compliqué d’être seul ou en bonne compagnie pour assister à ce spectacle qui s’entend de très loin. Ma soirée la plus fructueuse de cette période a été sur semaine en solitaire, ce 4 octobre. La veille et le lendemain, il en était tout autre ; j’ai fini par me lasser.
04 octobre 2024, en soirée – Alors qu’il n’y a aucune fréquentation humaine dans les environs, ce cerf d’âge mûr m’a tenu compagnie un petit moment.
Il conversait avec un congénère, sur le versant d’en face.
Il s’est prêté au jeu et je l’ai pris en photo sous toutes les coutures. Cela me permettra peut-être de l’identifier encore l’an prochain, si j’ai encore envie de revenir. J’aime bien m’assurer qu’ils sont toujours vivants, quand l’occasion se présente. J’aurai peut-être aussi l’occasion de le rencontrer pendant la mauvaise saison.
C’est un Dix cors irrégulier ; le surandouiller sur son bois droit est peu marqué.
Quand je n’ai rien vu ou entendu de la soirée, j’aime bien rester après la tombée de la nuit, un moment très enrichissant pour confirmer la présence des mâles à l’écoute. Quand les frontales ont disparu, la nature reprend généralement ses droits, bruyamment.
11 octobre 2024 – Une grande chauve-souris de la famille des Rhinolophes ou des Noctules ; je n’ai pas pu l’identifier.
Ces moments d’attente à la tombée de la nuit ont été l’occasion pour moi d’observer à plusieurs reprises le vol solitaire d’une grande chauve-souris qui m’a interpelée, bien plus grande qu’une Pipistrelle que je connais bien. Après quelques allers et venues au-dessus de ma tête, elle repartait ailleurs.
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I- Rappels sur le comportement spacial du Cerf élaphe
Au fil des ans, la population du Cerf élaphe a explosé dans l’Hexagone. On le trouve maintenant un peu partout et il s’est très bien adapté en particulier au milieu pyrénéen, où on limite son expansion pour qu’il ne dépasse pas l’axe de l’autoroute A64. Je ne connais personnellement qu’un seul écopont au-dessus de celle-ci (ouvrage le mieux adapté à la circulation du Cerf élaphe), à la limite des Landes et des Pyrénées-Atlantiques.
Biches et cerfs vivent en hardes séparées. Dans la littérature consacrée à cet animal, les notions de territoire et de domaine vital sont régulièrement confondues.
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1-1 Le territoire du Cerf élaphe
Le territoire du Cerf élaphe est l’étendue sur laquelle un individu, une famille matriarcale ou une harde est susceptible de se déplacer. Il peut être très grand et les cerfs, plus mobiles, occupent un espace bien plus important que les biches. Sa superficie est très variable selon que l’on est en montagne ou en plaine ; elle dépend aussi fortement des régions, de la configuration des lieux, de la ressource alimentaire et de la tranquillité, de l’âge et du nombre d’individus qui composent la harde pour les mâles. Il n’y a pas de compétitivité territoriale chez cet animal.
Seul le territoire des biches est un territoire dans le vrai sens du terme et ces animaux lui sont fidèles. Biches et cerfs peuvent vivre à l’année sur le même territoire, indépendamment les uns des autres. Les cerfs devenus adultes (plus de deux ans) sont moins attachés au leur.
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1-2 Le domaine vital du Cerf élaphe
Le domaine vital est un espace restreint du territoire. Un animal dérangé va quitter le cœur de son domaine vital pour une zone refuge secondaire, tout en restant sur son territoire. Il reviendra quelques heures ou quelques jours plus tard, selon le degré de dérangement (pression de la chasse, coupes forestières, …). Il le quittera définitivement en cas de changement majeur (comme une coupe à blanc).
Selon la disponibilité de la nourriture, son secteur d’activité varie entre la belle et la mauvaise saison, en particulier en présence de hauteur de neige importante (supérieure à une cinquantaine de cm) et persistante. Certains animaux possèdent un seul domaine vital utilisé toute l’année alors que d’autres en possèdent deux, parfois trois entre lesquels ils évoluent lors d’une migration verticale (domaine d’altitude en été et fond de vallée en hiver). A l’intérieur du domaine, les déplacements sont plus importants en été qu’en hiver.
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1-2-1 Le domaine vital de la biche
La biche sélectionne son domaine vital afin qu’il lui apporte les éléments nutritionnels adaptés au développement de son faon et la quiétude nécessaire à sa protection et sa survie. C’est une zone forestière refuge en journée et autour de laquelle on peut l’observer s’alimentant en famille matriarcale (bichette ou daguet, faon) en soirée, à découvert.
09 mars – Biche, daguet et faon dans la quiétude de la forêt.
Quiétude sous un soleil printanier!
Elle y est fortement attachée et se déplace très peu, en particulier à la fin de la gestation et pendant la période d’allaitement. Les bichettes, devenues adultes et indépendantes, restent généralement avec ou à proximité directe de leur mère. La colonisation de nouveaux territoires par les biches se développe mais elle est très lente.
16 décembre – Il peut arriver qu’un cerf sur sa 3ème année (2ème tête) reste encore au sein de la cellule matriarcale. Celui-ci, un Huit cors régulier, est plutôt sur sa 4ème année. Quand tout le monde s’éloigne, il clôt la marche.
05 mars, sous les flocons de neige – Une cellule matriarcale avec le daguet (mâle de 1 à 2 ans), le faon et la biche. Si le faon est un mâle, il prend le nom de hère de 6 à 12 mois. S’il est une femelle, il reste un faon jusqu’à un an.
Chez le hère, deux petites excroissances osseuses commencent à se développer sur l’os frontal de la boîte crânienne, entre le 5ème et le 8ème mois environ selon son état nutritionnel. Elles vont devenir entre le 9ème mois et un an environ des pivots, recouverts de peau et de poils. Puis les dagues protégées par le velours pousseront directement sur les pivots. Vers les 15 mois environ (durant l’été), les velours tombent. Pendant le brame, le daguet pourra nous présenter ses premiers bois à proximité de sa mère.
05 mars – Le faon (âgé d’environ 9 mois) et le daguet, sous les flocons de neige.
Un daguet « extérieur », la biche, son faon et son daguet. Le daguet de gauche ne peut être sur sa troisième année ; l’explication en est qu’il n’a pas de meule entre la dague et le pivot, celle-ci n’apparaissant qu’à partir de la 2ème repousse des bois.
09 mars – Un daguet. On peut remarquer l’absence des meules entre les dagues et les pivots.
09 mars, 19h00 – Une biche et son faon, une femelle, immortalisées la bouche pleine.
29 mars – Un hère de 10 mois environ. On peut deviner deux taches brunes de part et d’autre de son front, qui correspondent au début de la pousse de ses pivots.
05 avril – Un quatuor biche, bichette, faon et un Deuxième tête sur sa 3ème année (meules visibles). Le poil de la biche commence à muer.
Quand la biche se déplace, le faon est la plupart du temps collé à sa mère, suivi par la bichette s’il y en a une. L’ancienne bichette devenue biche et éventuellement mère à son tour aura une place précise pendant les déplacements si elle reste avec sa mère. Elle suivra la bichette et son faon la suivra si elle en a un et ainsi de suite. La femelle la plus ancienne après la mère suit après les autres femelles. Quand il y a des mâles dans le groupe, ils suivent en dernier ; le(s) daguet(s) d’abord puis le(s) Deuxième(s) tête(s).
Cette hiérarchie est importante ; elle n’est pas le fruit du hasard. La biche la plus âgée est la meneuse, souvent la mère de tout le groupe. Le plus âgé ferme la marche. Dans les Pyrénées, je n’observe personnellement que de petits rassemblements mais il peut y en avoir des conséquents quand on remonte vers l’Est de la chaîne.
18 mai – La biche va bientôt mettre bas. Il est temps de la laisser tranquille.
Elle est suitée ; son faon, reconnaissable à ses oreilles démesurées par rapport à sa tête ainsi qu’à sa corpulence, devient une bichette. La mue du pelage a lieu en avril-mai.
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1-2-2 Le domaine vital du cerf adulte
Le domaine vital du cerf adulte est moins lié à son lieu de naissance. Le daguet quitte sa mère au plus tard quand elle approche de sa 2ème mise bas (ou mise-bas) après sa naissance. Il va rejoindre une harde de jeunes cerfs dont la cohésion varie au cours du temps. L’expansion spatiale de l’espèce sur de nouveaux territoires est essentiellement assurée par ces jeunes mâles.
05 mars, 17h00 – Groupe de quatre cerfs adultes en bordure d’une forêt de sapins.
09 mars, 17h00 – Un jeune et joli Douze cors régulier à empaumures, dans la quiétude de la forêt.
Que fait-il? Il urine, tout simplement.
Cette dispersion natale concernerait à peu près la moitié des cerfs subadultes, que l’on peut observer jusqu’à une cinquantaine de km et même parfois plus de leur lieu de naissance. Leur capacité de dispersion peut aller jusqu’à une centaine de kilomètres dans le meilleur des cas mais elle est généralement limitée par des obstacles naturels ou crées par l’homme (autoroutes, voies ferrées avec passages pour la faune insuffisants ou non adaptés, …). Ils restent très mobiles pendant deux à trois ans environ, pour se fixer définitivement sur un territoire vers l’âge de quatre à cinq ans.
Le cerf perd ses bois à partir de la 1ère quinzaine de février, pour les plus vieux. Après un bref épisode hémorragique, la phase de cicatrisation des pivots va durer quelques jours. Son taux de testostérone est au plus bas et l’animal ne paraît pas en pleine forme. A la repousse, ses velours sont très sensibles. Privé de ses armes de défense, il est vulnérable et se retrouve en infériorité physique face à la prédation. Le refait, nom donné à la période de repousse des nouveaux bois, dure de 3 à 4 mois 1/2 environ selon l’âge.
Pendant toute cette période, les mâles ont souvent tendance à se regrouper pour mieux détecter un danger. Ils vont rester sédentaires dans un endroit tranquille, là où la ressource alimentaire est suffisamment riche en minéraux nécessaires à la croissance des futurs bois. Leur besoin alimentaire est alors maximum. C’est à ce moment-là que nos activités en forêt reprennent et leur comportement sera essentiellement nocturne.
Si l’animal est sous-alimenté, son trophée sera médiocre. Un choc ou une fracture pendant le développement des velours peut entraîner une ramure avec des malformations ; on parle alors de tête bizarde.
Une tête bizarde peut venir aussi d’une fracture du pivot pendant un combat ; il peut se ressouder et le bois tombera normalement au printemps suivant. Une mauvaise implantation de la partie supérieure mal ressoudée du pivot va induire une tête bizarde les années ultérieures.
16 mars – Le Douze cors régulier à empaumures a toujours ses bois ; il accompagne un autre mâle, qui les a déjà perdus.
20 mars – Ce Quatre cors sur sa troisième année (meules visibles), isolé, va perdre ses bois parmi les derniers.
05 avril – Une mue d’un Huit cors dans la neige.
05 avril – Ce mâle a perdu ses bois ; on l’appelle un cerf mulet. La cicatrisation des pivots est ici terminée. Les nouveaux pédicures de bois commencent à se développer.
Le même cerf mulet, de face.
Les plus vieux perdent leurs bois en premier.
22 avril – Le début des velours sur ce joli mâle. C’est le moment de le laisser tranquille.
Les mâles adultes vivent en harmonie au sein d’une harde une bonne partie de l’année ; cette cohésion va se disloquer au moment du rut. Les grands mâles deviennent individualistes pour rejoindre les places de brame où ils seront compétitifs et belliqueux. Ils se regrouperont progressivement à nouveau pour passer l’hiver.
Les domaines vitaux des cerfs et des biches peuvent être situés sur le même territoire ou sur des territoires différents. Ils sont généralement indépendants, parfois à seulement quelques centaines de mètres ou bien à quelques kilomètres de distance les uns des autres ; ils peuvent aussi parfois se chevaucher. L’expansion pérenne nécessite bien sûr une colonisation des deux sexes ; elle a lieu pas à pas sur plusieurs années.
Séquences vidéos personnelles issues de la pose ponctuelle d’un piège photographique (03 mars au 03 avril) pour observer le comportement des biches et cerfs. A cet endroit, les domaines vitaux se chevauchent.
(Vimeo est sans publicité. La vidéo est dans son format d’origine en double-cliquant sur Vimeo).
Les années d’expérience d’un cerf âgé lui ont appris la méfiance ; il s’isole en solitaire dans des lieux plus retirés où sa présence à l’année se fera très discrète afin d’assurer sa survie. Ses déplacements seront de ce fait plus importants au moment du rut : on l’appelle un cerf pèlerin, cerf nomade ou même parfois cerf fantôme ; il voyage généralement de nuit, se reposant en journée. Il apparait au moment du rut et disparait, sans que l’on sache ce qu’il devient par la suite. Certains mâles parcourent des distances de plusieurs dizaines de kilomètres.
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Dans les Hautes-Pyrénées, trois cerfs mâles et huit femelles adultes ont été équipés de colliers GPS entre la période du rut de 2002 et le printemps 2004. Les résultats ont montré que les domaines vitaux des animaux présentent des surfaces variables allant de 113 à 4099 hectares. Les cerfs suivis ne présentent pas de rythmes d’activité synchronisés entre eux. Les durées d’activité sont extrêmement variables au cours de la journée et entre individus. On retrouve toujours une activité plus intense au crépuscule. La sélection des habitats de jour n’est pas significative si ce n’est que les pistes et les sentiers, considérés comme des lieux de dérangement, sont évités. Les sites de repos de nuit se répartissent équitablement entre prairie (les animaux ne partent pas de leur site d’alimentation) et forêt, alors que les sites de repos diurnes sont majoritairement en forêt. Il existe une forte variabilité entre les individus sur leur capacité à utiliser tous les habitats présents.
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1-3 La place de rut ou place de brame
La place de brame est située sur le domaine des biches et ce sont les mâles qui se déplacent pour venir les courtiser. Le lieu de rendez-vous se perpétue d’année en année, à la même période et au même endroit. Il n’a pas été choisi au hasard : l’endroit est dégagé afin que les animaux puissent voir venir un danger ou une intrusion inhabituelle, avec un couvert à proximité pour se réfugier. C’est généralement une forêt clairsemée, une clairière ou une fougeraie, une zone de pâturages. Le mâle dominant pourra surveiller toutes les biches de son « harem » (terme souvent employé, mal adapté), surveiller le comportement des cerfs satellites et faire échouer les tentatives d’accouplement des concurrents.
21 septembre 2024 – Le cerf et un groupe de biches, bichettes et faons sur une estive. Pas de mâles subadultes ou plus âgés à proximité.
21 septembre 2024 – Ils sont surveillés et sur-surveillés. Les animaux aiment bien l’endroit où l’herbe est très verte ; ce n’est pas le bétail qui les dérange.
Quand ils ne sont que sous sur-surveillance, ils sont présents et peuvent voir venir un danger de loin.
07 octobre, 19h40 – Les biches sont en contrebas, hors cadre. Le cerf, encore méfiant, est sur la crête vers la droite. Le soleil est passé derrière la montagne et le « spectacle » va bientôt commencer.
08 octobre, 8h10 – Il y a encore un peu d’activité ; après 10h00, tout le monde se reposera dans un endroit tranquille.
15 octobre – Clairière de brame dans les fougères, avec un couvert de repli. Les animaux ont déserté la place, les festivités sont terminées.
Le cerf ne défend pas de territoire car celui-ci ne lui appartient pas ; il interdit seulement aux autres mâles d’approcher « ses » biches ; on devrait dire « les » biches, car ces dernières n’appartiennent à personne. C’est aussi une zone de gagnage où les femelles vont s’alimenter ainsi que les mâles, mais dans une bien moindre mesure. Les cerfs pourront rafraîchir leurs ardeurs sur une ou plusieurs souilles, à proximité. Il arrive que certaines biches aillent également s’y rouler dedans.
Le comportement des animaux change à la période du rut et ils se montrent volontiers à découvert, pour peu qu’on les laisse tranquilles. Les familles matriarcales se rassemblent en groupes, avant l’arrivée des mâles. Pendant la reproduction, ce sont généralement les biches qui sortent les premières du couvert végétal, dirigées par la meneuse expérimentée. Elles « jouent à domicile » et connaissent bien les lieux. Elles réagissent à tout ce qui est inhabituel. Le(s) cerf(s) sort(ent) un peu plus tard et on localise facilement la place de brame à l’écoute. Il est aussi souvent le premier à se remettre à couvert.
14 septembre, 18h15 – Une harde dans un pré, composée de biches, bichettes, daguets et d’un cerf sur sa 3ème année. Aucun comportement de brame, le(s) grand(s) mâle(s) est (sont) absent(s).
25 septembre, 19h00 – Les biches commencent à sortir de la forêt.
01 octobre, 07h50 – Les mâles chevronnés se sont défiés toute la nuit et sont fatigués. Ici, ce petit cerf, bien en forme, va poursuivre longuement cette biche toujours pas fécondée et qu’il a isolée.
03 octobre, 8h10 – Le soleil éclaire maintenant le versant de la montagne. Le cerf (en haut) et les biches (en contrebas) repartent à couvert pour la journée.
04 octobre, 19h40 – Le cerf apparaît enfin sur l’estive, bordée de sapins.
11 octobre, 17h50 – Les animaux se reposent encore, sous les arbres. Ici, les mâles sont toujours actifs. A l’ouest des Pyrénées, la fin du brame approche.
J’ai souvent entendu dire par le passé et je l’ai peut-être moi-même écrit dans un précédent article : « Un cerf revient pour le brame à l’endroit où il est né ». Aujourd’hui, je ne pense pas que ce soit systématique. Il connaît bien la place de brame de sa mère, qu’il a fréquenté d’abord comme faon puis comme daguet, et il connait le chemin pour y revenir. Ceux qui se sont peu éloignés y reviendront tous les ans, c’est certain. Cependant, je me dis que pendant sa période erratique en tant que jeune adulte et s’il a beaucoup vagabondé, il a pu trouver pour le brame une opportunité qui lui convient mieux ailleurs sur un nouveau territoire et c’est là où il reviendra tous les ans, sauf évènement majeur.
30 septembre, 16h50 – Seule sa tête dépasse au-dessus des fougères.
30 septembre, 17h20 – Les animaux évoluent ici dans les fougères, où parfois seul les bois du mâle dépassent. De quoi décourager pas mal de monde.
Trop souvent dérangés, les animaux vont évoluer dans des milieux plus fermés, à l’abri des regards. Ils y sont tranquilles et peuvent quitter leur zone de repos plus tôt en soirée.
Au fil des ans et après avoir recueilli d’autres témoignages d’habitués, certaines places de brame se sont vidées et la forêt s’est tue. Les mœurs des animaux s’adaptent à l’évolution de notre pratique des loisirs.
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II- Exemples de suivi de déplacements de cerfs par télémétrie en 2023-2024
La pose de collier GPS sur des grands cervidés est utilisée depuis quelque temps déjà. Elle s’est développée pour une meilleure prise en compte de leurs mouvements afin de comprendre comment l’espèce part à la conquête de nouveaux territoires, quels corridors écologiques elle va utiliser pour se déplacer et comment elle choisit ses différentes zones d’usages.
Un projet scientifique de suivi de grands cervidés appelé Macervus est conduit depuis juillet 2020. Ce programme interdépartemental est mené par les Fédérations de Chasse (FDC) de l’Aveyron, de la Lozère et du Tarn, l’INRAE Occitanie, la Fédération régionale des chasseurs d’Occitanie (FRCO) et le Parc Naturel Régional du Haut Languedoc.
Il est financé par l’État via le commissariat de massif « Massif Central » et par l’Union européenne. Il implique le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, l’Office français de la biodiversité (OFB) et la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC).
Macervus vise a acquérir des connaissances sur le Cerf élaphe, la mise en place d’actions de gestion concertée et de communication en faveur du maintien des équilibres entre l’espèce, ses habitats et les activités socio-économiques du territoire. Ce programme vise à produire des connaissances nouvelles et tangibles pour répondre aux interrogations du monde agricole et forestier.
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2-1 Fédération Départementale des Chasseurs du Tarn
Dans le cadre de ce projet, l’objectif de la fédération est de poser au moins 4 colliers GPS (équipés d’un système drop-off qui entraîne sa chute après 14 mois environ) : une biche appelée Désirée (23 septembre 2022), une biche Omaha (début 2023), un cerf Tonao (27 septembre 2023) et un cerf Flex (début octobre 2024) en ont été équipés.
Exemple du cerf TONAO, documenté par la Fédération Départementale des Chasseurs du Tarn :
Equipé de son collier GPS sur sa place de brame le 27 septembre 2023, il y est resté jusqu’à la mi-novembre, puis son territoire s’est étendu sur une distance de 20 km, qu’il a utilisé de façon inégale en petits domaines vitaux en lien étroit avec ses besoins physiologiques et en discrétion absolue. Il occupe son quartier de printemps d’une superficie de 100 ha du 1er février au 15 mai 2024, puis son quartier d’été de mi-mai au 30 juin à plus de 5 km de là, réduit à quelques dizaines d’hectares. Il retourne au quartier de printemps du 1er juillet au 05 septembre, avec des déplacements inexistants sur une surface de 15 ha. Le 6 septembre 2024, il ne lui faut que quelques heures pour avaler les 10 derniers kilomètres qui le sépare de sa place de brame. Il a repris avec une précision extrême le même trajet utilisé il y a un an pour migrer vers sa zone de repos!
A la date de cette publication, son collier vient en principe de se détacher et il ne reste plus que Flex en cours de géolocalisation.
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2-2 Fédération Départementale des Chasseurs de l’Aveyron
L’objectif de la fédération est de poser cinq colliers GPS : une biche appelée Neige (décembre 2021), une biche Etoile (septembre 2022), un cerf Sven (septembre 2022), un cerf Romain (septembre 2023, mort d’un mauvais coup à la mâchoire en affrontant un rival) et un cerf Pierrounet (janvier 2024).
Exemple du cerf Pierrounet, documenté par la Fédération Départementale des Chasseurs de l’Aveyron (lien en webographie) ; ce cerf m’a semblé avoir le comportement d’un « pèlerin » :
Ce cerf a été découvert en Aveyron par un promeneur surnommé Pierrounet, qui lui a sauvé la vie en janvier 2024 en le trouvant pris au piège d’une clôture entourée autour de ses bois et en signalant sa mauvaise posture aux chasseurs locaux. Ceux-ci ont eu le réflexe de prévenir aussi leur fédération départementale. Anesthésié pour le libérer, il est alors par la même occasion équipé d’un collier GPS dans le cadre du projet.
Du 15 au 23 février, il met le cap sur la Lozère pour un périple de 65 km, sans hésiter ; il sait où il va, comme s’il avait déjà fait le voyage par le passé. Il y prend ses quartiers, seul. Il reste tranquille à couvert pendant le refait.
Le 11 septembre, Pierrounet a quitté la Lozère. Il est revenu en Aveyron après avoir parcouru plus de 30 km d’une seule traite. Il retourne directement sur la commune où il avait été équipé de son collier GPS en parcourant à nouveau près de 12 km d’une seule traite, à l’heure pour le brame. Ses déplacements vont alors se limiter à moins d’1 km par jour, sur une surface de moins de 12 ha. Après avoir bramé entre stations à couvert dans les bois et exhibition au milieu de parcelles agricoles, début novembre, il est toujours en terre aveyronnaise. Le départ est très proche.
Il quitte l’Aveyron le 06 novembre 2024 où il reprend exactement le même chemin qu’à l’aller. En Lozère, il emprunte un nouvel itinéraire. En 5 jours, il a parcouru 32 km en tirant droit. Il sait où il va pour se reposer.
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III- Les biches, principales actrices du rut
19 septembre, 17h10 – Isolée et accompagnée de son faon, elle m’a surpris. Ce n’est pas là que je pensais la voir.
Bien qu’elles soient silencieuses et posées, les biches sont en fait les principales actrices du rut. Tout passe par elles. Elles m’étonnent par leur flegme, qui contraste singulièrement avec le comportement du cerf dominant. Lui, il est à l’opposé ; bien qu’il accapare le devant de la scène, il fait aussi beaucoup d’esbrouffe. En fait, il n’est là que pour féconder. Ce n’est pas compliqué, mais il doit donner beaucoup de sa personne pour y parvenir.
08 octobre, 09h40 – Le cerf vient de se faire pousser de la tête par la brebis qui continue à avancer sur lui. Il se demande ce qu’il lui arrive, puis va se mettre de côté pour laisser le passage. Le faon ne perd pas une miette du spectacle.
Ce comportement belliqueux qui nous passionne, il ne l’utilise pas pour défendre les biches et leur progéniture. Il peut même être parfois un sacré froussard et ne lèvera pas un sabot pour les protéger. Je l’ai vu une fois se faire pousser par une brebis.
Bien que les accidents corporels impliquant l’humain soient rares, ce n’est pas une raison pour aller le provoquer en se retrouvant dans son environnement immédiat ou sur sa trajectoire. Ce risque ne doit pas être négligé, particulièrement à cette période où il n’a pas toujours tous ses esprits. Ce n’est pas de sa faute ; cette agressivité est directement en lien avec l’envol de son taux de testostérone.
Ses testicules peuvent quadrupler de volume. Il n’a mauvais caractère que lorsqu’ils ont pris cette importance et qu’un congénère convoite lui aussi le beau rôle, saillir sans partage. Il saillit s’il est le plus fort mais ce n’est pas un droit. Sans consentement préalable de la biche, il s’épuisera vainement.
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3-1 Que fait le cerf
La plupart du temps, s’intéresser au brame revient à s’intéresser au spectacle donné par un grand cerf ; il est un symbole de la puissance masculine. Il occupe une place à part dans le monde animal avec son cri rauque et impressionnant, ses décrochements de mâchoires et ses démonstrations de force. Pour peu qu’il soit bien assis au sommet de la hiérarchie, il aura la disponibilité quasi-exclusive de ce fameux « harem » dont on parle souvent pour assurer sa descendance, sans en supporter un quelconque inconvénient. Dans le règne animal, le mâle du harem exerce une domination totale, parfois tyrannique, sur le groupe d’animaux de sexes différents. Je pense que pour le Cerf élaphe, ce terme n’est pas vraiment adapté.
Une fois fécondée, la biche ne représente plus rien pour lui ; il l’abandonne. En fait, la biche n’a pas besoin de lui : elle est indépendante et poursuivra sa vie seule jusqu’à la mise-bas. Elle détient la clef de la reproduction et le cerf ne représente pour elle qu’un moyen mécanique pour perpétuer la survie de l’espèce. Elle nourrit et protège son faon et apprend à sa progéniture ce qui est nécessaire à la survie.
30 septembre 2024 – Une séquence vidéo enregistrée avec un téléobjectif. On y retrouve certains symptômes d’un cerf excité, même ici plutôt inquiété : rot bref, démarche saccadée, labourage du sol avec les bois, éjection de sperme et d’urine.
Ce cerf a fini par quitter la place en repartant d’où il venait. Je n’ai pas vu une quelconque activité animale qui ait pu l’inquiéter. Aucune manifestation d’un concurrent de la soirée! J’ai entendu le lendemain de quelqu’un qui s’en vantait qu’il se planquait dans le bois dans la direction du regard du cerf et donc bien plus proche que moi. Les photos devaient être intéressantes!
Par la suite, tout a été plus limpide, avec l’observation de planques directement au milieu de la place.
Le cerf est prêt à mourir pour ces moments exclusifs, bien qu’il soit parfois trompé dans son dos. Il s’asperge fréquemment d’urine et de sperme et n’hésite pas à s’y rouler dedans. Au comble de son agressivité, il laboure le sol avec ses bois, s’acharne sur la végétation et se défoule violemment sur les troncs des arbres.
Vidéo du comportement d’un cerf à la ramure atypique (Tête bizarde) et des biches, pendant le brame.
Il possède dans la région caudale des glandes dont la sécrétion, très abondante pendant la reproduction, dégage une forte odeur persistante et désagréable mais qui ne décourage pas les biches, bien au contraire. Il a été démontré par certaines études que son numéro Grand Spectacle et ses odeurs particulières peuvent les exciter et induire les chaleurs (œstrus). De même, les biches auraient tendance à préférer un partenaire mature quand elles ont le choix.
24 septembre – Un Daguet « intéressé ». Le mâle est sexuellement mature vers 18 mois mais il est bien trop jeune pour espérer se reproduire.
23 septembre – Un cerf sur sa troisième année peut commencer à se faire très insistant.
Mais il manque sérieusement d’expérience!
02 octobre au cours d’une randonnée, 16h00 – Les animaux sont ici tranquilles. Ce petit Huit cors sur sa 4ème année a toutes ses chances ; il accompagne une cellule familiale où la biche n’a pas encore été fécondée.
Lors d’un échange cette année avec un jeune photographe, j’ai été interpelé par son ressenti. En effet, il avait régulièrement photographié des cerfs « la bouche ouverte » mais avait déjà fait le tour de la question. Il lui fallait « du combat de cerfs » et il n’en avait encore jamais observé ; c’était son grand regret du moment. C’était la première fois qu’il venait à cet endroit, qu’on lui avait conseillé pour cela. Bien que je lui ai dit que ce genre de spectacle n’était pas systématique, il était quand même déçus de ne pas avoir assisté à une bagarre. Je trouve qu’il est dommage de vouloir tout, tout de suite, de cocher et de passer rapidement à autre chose. Il y a tant de choses à apprendre sur le rut.
28 septembre, 09h15 – Le combat matinal de deux grands cerfs dans les Pyrénées, filmé avec le téléobjectif tremblotant posé sur un rocher.
Je ne suis pas très sympa pour le cerf. En fait, toutes les valeurs positives liées au cerf en tant qu’animal totem (noblesse, grâce, douceur de caractère, timidité, etc.) sont très présentes le reste de l’année, quand il a retrouvé ses esprits. Son taux de testostérone revient à la normale quand toutes les biches qu’il côtoie ont été fécondées. C’est à ce moment-là que j’aime bien le côtoyer.
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3-2 Les responsabilités de la biche
3-2-1 Quelques définitions chez les mammifères de sexe féminin
L’œstrus ou chaleurs, rut : il correspond à la période durant laquelle une femelle mammifère est fécondable. Pendant cette période, elle est réceptive et son état physiologique la pousse à adopter une série de comportements pour attirer les mâles et accepter l’accouplement en vue de la reproduction. Ce comportement spécifique précède et accompagne l’ovulation qui est l’émission du gamète femelle.
Le cycle œstral : il correspond à la phase précédant et accompagnant l’ovulation. Dit autrement, c’est la suite des événements qui se répètent entre deux ovulations (ou deux œstrus).
On distingue les espèces à cycle continu et les espèces à cycle saisonnier.
Espèce à cycle continu : les cycles sont sans interruption et se succèdent toute l’année, comme chez les rongeurs. La sexualité est dite continue.
Espèce à cycle saisonnier : le cycle ne survient qu’à une certaine période de l’année nommée saison sexuelle. La sexualité est dite saisonnière. Il peut n’y avoir qu’un seul cycle œstral (cas de la chienne) ou plusieurs cycles œstraux, comme chez la biche. Le cycle œstral s’interrompt dès qu’il y a fécondation.
3-2-2 Mais qu’en est-il pour les biches?
Enfin, j’y arrive! C’est quand même elles qui mènent le bal. Elle a déjà choisi la « salle », mais ce n’est pas tout. En toutes circonstances, c’est la biche qui choisit, qui décide et elle donne l’impression d’être difficilement consentante.
Chez nous, la période du rut s’étale habituellement du 15 septembre au 15 octobre. Les premières manifestations sont audibles d’abord au Pays basque, avec un décalage généralement plus tardif en remontant les massifs vers l’Est. Pour moi, le pic des comportements typiques se situe entre le 30 septembre et le 08-10 octobre.
Les biches observent, scrutent les alentours. Elles restent aux aguets et la biche meneuse prend les initiatives essentielles en cas de danger. Elle mène les déplacements et le cerf dominant en dernier ; il va où elles vont. En fait, il ne semble se soucier que des autres mâles. Il n’a d’autorité que sur ses concurrents. S’il essaie de rassembler les biches sous sa protection pour mieux les surveiller, elles n’en font de toute façon qu’à leur tête.
Elles ont laissé le cerf prendre une place dans la harde, mais il n’y fait pas ce qu’il a envie. Bien plus posées que le « super excité », elles montrent une grande cohésion. Elles décident des accouplements, avec qui, où et quand cela leur convient. Elles décident de se laisser approcher ou de se refuser, se sauvent, l’épuisent.
10 octobre – On lit dans certaines publications que les faons sont écartés pendant le rut. Il n’en est rien. Bien au contraire, la biche garde un comportement de mère et on assiste ici à un allaitement.
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La majorité des biches conçoivent durant leur premier cycle œstral. Il a été démontré que l’âge et la condition physique des biches influencent la date d’ovulation, les plus âgées et en meilleure condition ayant tendance à ovuler plus tôt dans la saison que les plus jeunes et celles ayant une masse corporelle plus faible.
Pendant la saison reproductrice, le cycle œstral se répète tous les 18-19 jours à deux ou trois reprises, parfois quatre et jusqu’à ce que la biche conçoive ; cela peut nous amener à fin novembre et l’on parle alors de brame tardif, plus discret avec peu de monde sur la place. Les grands mâles, épuisés, sont déjà repartis et seuls les jeunes adultes, moins expérimentés, sont encore à pied d’oeuvre. Ces séances de rattrapage sont à éviter car elles induisent de futures naissances tardives avec un risque accru de mortalité hivernale. Il faut laisser les animaux tranquilles!
La période de reproduction peut également s’étendre sur plusieurs cycles œstraux quand la proportion de mâles subadultes dans la population est importante ; d’où l’intérêt de la présence d’un grand mâle mâture, pour ne pas traîner en longueur. La majorité des fécondations sont généralement assurées par des cerfs de 5 ans et plus ; ce qui n’empêche pas quelques jeunes cerfs satellites de profiter parfois d’un moment d’inattention ou de fatigue du cerf dominant. Je les trouve bien plus présents en deuxième partie de la période.
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Chaque chaleur dure 24 heures environ et la biche peut être saillie à plusieurs reprises par le (ou plusieurs) mâle(s). L’ovulation spontanée se produit 24 heures après les premiers signes de chaleur. Le moment idéal pour l’accouplement se situe donc à 18-24 heures après le début de la chaleur.
La maturité sexuelle de la bichette est atteinte à partir de 18 mois environ ; cela nous amène donc déjà à fin novembre. Cependant, sa probabilité d’être fertile plus tôt augmente suivant son développement et sa masse corporelle. En dessous de 45 kg, aucune n’est en principe fertile et toutes celles dont la masse corporelle dépassent 60 kg, le sont normalement. Dans tous les cas, le moment de son premier œstrus est décalé par rapport à celui de la biche adulte. Toutes les biches de 2 ans et plus sont généralement fertiles année après année.
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Le museau relevé et la langue tirée, il perçoit l’état des chaleurs de la biche. Il humidifie ses narines avec sa langue pour bien ressentir les effluves.
Plusieurs types de comportement sont observés durant la séquence pré-copulatoire. Le premier signe de venue en chaleur chez la biche est la proximité du mâle qui la suit partout et semble la garder. Il renifle ses urines pour se tenir au courant de l’évolution de la situation. Progressivement, son intérêt augmente et il devient insistant. La biche réagit alors aux sollicitations par la fuite.
Une grosse brute, un geste tendre. La biche apprécie.
Lorsqu’elle se couche, le mâle l’incite à se relever en la poussant de la tête. Progressivement, ses réactions de fuite diminuent. Elle interrompt sa course et s’immobilise : c’est le moment! Si on la voit relever légèrement sa queue, l’accouplement suit généralement immédiatement, couronné par la fameuse chandelle du cerf. Tout va très vite!
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Le pic des naissances en mai-juin est synchronisé avec le développement de la végétation printanière et le pic du niveau de protéine de la végétation. Une naissance tardive peut avoir pour conséquence une masse corporelle plus faible en début d’hiver et une probabilité accrue de mortalité lors d’hivers rigoureux.
14 septembre – Ce faon encore tacheté, seul au milieu de toutes ces biches, semble menu. Naissance tardive?
26 septembre – Celui-ci, plus corpulent, a encore quelques taches.
29 septembre – Biche seule avec son faon, dont le poil a mué.
14 octobre – Ce dernier faon ressemble déjà à sa mère, en miniature. Il a toutes ses chances de survivre.
14 octobre, en fin de soirée. La biche est seule et il n’y a aucune activité aux alentours.
15 octobre, 18h00 – Un Dix cors à fourches sur sa souille. Plus à l’Est des Pyrénées, le brame est toujours actif ; grands cerfs et jeunes cerfs satellites continuent à se jauger et se faire concurrence.
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Quoiqu’il en soit, le brame va se terminer et les responsabilités continuent pour les biches.
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IV- Webographie
_ Romain Sordello, juin 2012 – Centre de ressources Trame verte et bleue – Synthèse bibliographique sur les déplacements et les besoins de continuités d’espèces animales – Le Cerf élaphe : https://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/syntheses-bibliographiques-especes/131219_cerf_elaphe_juin2012.pdf
_ P. Teillaud, R. Bon, G. Gonzalez, A. Schaal, P. Ballon et R. Campan – Revue d’écologie (La Terre et la Vie) – Le Cerf (année 1991) : https://www.persee.fr/doc/revec_1168-3651_1991_sup_46_6_6326
_ Nathalie Mottier-Vidal. Contribution à la gestion de la population de cerf élaphe (Cervus elaphus) dans le département des Hautes-Pyrénées. Médecine vétérinaire et santé animale. 2014. dumas-4548778 : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04548778/file/Mottier-Vidal_12176.pdf
_ Antoine Morisot, Delphine Chenesseau, Jérôme Bombois, Patrick Gaular, Vincent Tolon, Claude Fisher, Sonia Saïd – Déplacements des populations de cerfs du massif jurassien : influences climatiques et humaines (Revue Faune Sauvage) : https://professionnels.ofb.fr/sites/default/files/pdf/RevueFS/FauneSauvage310_2016_Art4.pdf
_ Fédération des Chasseurs d’Occitanie – Actualités : https://www.chasse-nature-occitanie.fr/outils/recherche.php?q=pierrounet
_ Fédération régionale des Chasseurs d’Occitanie – MACERVUS : Devenir d’une espèce emblématique du Massif Central « Cervus elaphus » : https://www.chasse-nature-occitanie.fr/biodiversite-et-observatoire/projets/macervus.php
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