Panorama depuis le pic de la Bernatoire – Dominant le lac de la Bernatoire, le pic de Gabiet (2 716 m), puis vers la droite le Soum Blanc des Espécières (2 685 m), le Marboré (3 248 m) où s’accrochent les premiers nuages, le Mont Perdu (3 355 m) à peine visible, le Taillon (3 144 m) et le Gabiétous occidental (3 034 m) à la limite des nuages.
La façon de pratiquer la montagne en dit long sur la considération que l’on peut lui accorder. Les sentiers, la roche, la faune, la flore, tout cet environnement a quelque chose à nous raconter. Certains lieux comme notre brave Ossau ont une histoire géologique formidable, d’autres nous sensibilisent au réchauffement climatique avec la disparition des glaciers. Ici, je me suis intéressé à l’histoire de la transhumance de la Bernatoire, après avoir randonné en ce lieu chargé d’histoire.
La vue plongeante sur le lac en montant au pic de la Bernatoire.
Le lac de la Bernatoire, surmonté du pic du même nom, est situé en Aragon juste après la frontière ; on l’appelle l’Ibon de Bernatuara. Il est entouré de parois rocheuses de toutes parts, à une altitude de 2 275 m. En continuant sur cette publication, vous pourrez découvrir en photos un aperçu de la randonnée jusqu’au pic de la Bernatoire et ce qui a valu à ce lieu d’être inscrit au patrimoine mondial culturel de l’UNESCO.
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I- La randonnée au lac et pic de la Bernatoire
L’accès au(x) parking(s) de cette randonnée se fait en prenant d’abord la route des Especières (D923), à droite depuis l’entrée du village de Gavarnie. On la quitte rapidement dans le premier virage en épingle à cheveux environ 800 m plus loin, pour prendre la D128 en direction du barrage d’Ossoue, goudronnée au départ puis sous forme de piste.
Très rapidement, les premières marmottes de cette belle vallée d’Ossoue montrent le bout de leur nez sympathique ; elles se chauffent au soleil. Elles agrémenteront toute la sortie.
Premier parking : la cabane de Milhas (altitude 1 680 m), fin de la D128. Il est possible de s’y garer, en particulier pour les véhicules bas ou encombrants : la place est limitée.
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La piste continue et peut parfois être dégradée.
La piste, après la cabane de Milhas.
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Deuxième parking : plus grand, il est situé 800 mètres plus loin et 50 m plus haut (altitude 1 730 m) ; c’est le 1er point de départ pour cette randonnée (ainsi que pour d’autres).
Le 2ème parking en contrebas, avec au premier-plan la passerelle au-dessus du gave d’Ossoue pour démarrer la randonnée. En face sur la gauche, le pic Rond (2 345 m), puis le pic Pointu (2 526 m).
Un panneau indicateur à la sortie de la passerelle confirme la direction à suivre.
Panneau indicateur (cabane de Lourdes 0H45 ; lac de la Bernatoire 2H30), avec rappel des consignes du Parc National, dont la limite suit ici le gave d’Ossoue.
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Troisième parking : plus petit que le précédent, on y accède 1 400 m plus loin et 100 m plus haut au barrage d’Ossoue (altitude 1 830 m), second point de départ de la randonnée (si son véhicule le permet). La pente jusqu’au plateau de Lourdes est moins raide.
Arrivée au parking du barrage d’Ossoue.
Types de véhicules présents ce jour-là.
Le point de départ est juste un peu plus loin, en contrebas du barrage.
Descente en contrebas du barrage. En face, le GR10 venant du refuge de Bayssellance (2 651 m, le plus haut gardé des Pyrénées).
Passage sur la petite passerelle au-dessus du gave d’Ossoue, empruntée par le GR10.
Panneau indicateur de départ de la randonnée (cabane de Lourdes 0H30 ; lac de la Bernatoire 2h15 ; Gavarnie 2h45 ; Centre des Espécières 2h15).
Ceci ne sera pas un topo ; il en existe de très bien faits sur le Net. La sortie aujourd’hui se fera en partant de la cabane de Milhas, puis en quittant la piste au 2ème parking.
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Au centre, le Petit Vignemale (3 032 m), puis vers la gauche la pointe Chausenque (3 204 m), le piton Carré (3 197 m) et la Pique longue (3 298 m) point culminant des Pyrénées françaises. A leur pied et exposé vers l’Est, le glacier d’Ossoue est en train d’agoniser.
En continuant vers la gauche, le pic Montferrat (3 219 m), Grand Pic de Tapou (3 150 m), pic du Milieu (3 130 m) et le Petit pic de Tapou (2 923 m).
J’ai amené mon téléobjectif, pour les marmottes mais aussi pour me « rapprocher » du glacier d’Ossoue.
Sur la gauche, le pic Montferrat avec sur son flanc, le glacier de Montferrat. Puis, le Clot de la Hount (3 289 m), la Pique Longue, le Piton Carré, la pointe Chausenque surplombant le glacier d’Ossoue.
Le glacier suspendu du Montferrat, niché sur une dalle calcaire à forte pente. Ses eaux de fonte alimentent le gave d’Ossoue.
Ce glacier occupait encore une superficie de 3,5 ha en 1999. En 2023, il ne fait plus partie du classement des glaciers des Pyrénées depuis quelque temps déjà ; en deçà de 2 ha, la classification pyrénéenne ne les considèrent plus que comme de simples névés.
Sur la gauche, la foule est déjà au sommet de la Pique Longue.
Ce qui reste encore en août 2024 du glacier de langue d’Ossoue, sur l’itinéraire d’accès au Vignemale (Pique Longue) par le versant Sud (voie normale).
La surface occupée par le glacier d’Ossoue, appelé véritable car il présente des crevasses, est passé de 60 ha en 2000 à 45 ha en 2013 et 24 ha en 2023.
Les troupeaux de bovins aragonais sont arrivés fin juillet.
En se retournant, on aperçoit encore le parking de départ au centre de la photo. Vers la droite, le Soum blanc de Sécugnat (2 577 m).
Sur le versant d’en face, la piste montant au barrage d’Ossoue (le chemin du retour).
Le vol stationnaire du Circaète Jean-le-Blanc (Circaetus gallicus).
Une Grenouille rousse adulte (Rana temporaria), sur le bord du sentier.
L’arrivée au Pla (plateau) de Lourdes, avec sa cabane (1 995 m). Le sentier rejoint à main droite le GR 10 venant du Barrage d’Ossoue.
Le ruisseau de Lécadé, traversé à gué ou sur une passerelle (à gauche hors cadre).
Ici, l’eau ne manque pas.
Après la cabane, le GR10 bifurque pour traverser cette passerelle à main gauche sur le ruisseau de Lourdes (qui rejoint plus bas le Lécadé pour donne le ruisseau de La Canau se jetant dans le gave d’Ossoue) ; continuer en face, sur un sentier bien marqué.
Par la passerelle, la cabane de Sausse Dessus (0h30), le Refuge de Holle (2h30) et Gavarnie (2h45). En face, le lac de la Bernatoire (1h50) et le Refuge de Boucharo (3h30).
A l’arrière-plan dominant la vallée de la Canau, le pic de la Bernatoire (but final).
La remontée de la vallée de la Canau, en suivant le ruisseau de Lourdes. En face, le pic de la Bernatoire ; à sa droite, le pic Crabère.
Le pic Crabère (2 590 m), un bel exemple de déformation tectonique.
Une belle surprise à l’ombre d’un rocher, avec cet Edelweiss des Alpes (Leontopodium alpinum). Il est unique dans tout le secteur.
Je l’ai toujours appelé l’Immortelle. J’ai voulu partager cette observation avec un randonneur qui arrivait et il m’a répondu en ralentissant à peine : « vous savez, il y en a des milliers du côté des Espécières ».
Un véritable festival de Marmottes des Alpes ce jour-là ; ni farouches, ni « apprivoisées ».
Pipit spioncelle (Anthus spinoletta), un passereau montagnard migrateur.
Droit devant, en pente douce avant la montée finale du Pla de la Coume au fond de la vallée de la Canau, où la pente se redresse. Pic de Gabiet à gauche, pic de la Bernatoire à droite.
L’approche du col de la Bernatoire, un peu plus raide.
L’arrivée au col de la Bernatoire (2 336 m) et à droite, le début de la sente qui part dans la caillasse vers le pic de la Bernatoire (2 516 m).
Plaque de l’UNESCO « Lieu de passage historique Franco-Espagnol ».
Le lac (altitude 2 270 m), depuis le col.
Le début de la descente vers le lac.
En face du col : la remontée vers un petit col, pour descendre en direction de San Nicolás de Bujaruelo (altitude 1 345 m) ou du Port de Boucharo (altitude 2 270 m).
Les brumes aragonaises.
Pendant la montée au pic de la Bernatoire. Le pic de Gabiet, sur la gauche.
Depuis le pic – Le Soum des Salettes (2 976 m), le pic de Gabiet, le pic des Espécières (2 685 m), le Marboré, le Mont Perdu, le Taillon, le Gabiétous Occidental.
Depuis le pic de la Bernatoire ; une vue un peu plus élargie.
De gauche à droite : Pic Sud d’Aspé (2 924 m),, le Soum de Male (2 797 m), le pic du Midi de Bigorre (à l’arrière-plan), le pic des Sècres (surmonté de 2 nuages en barrettes).
Le Marboré, Mont Perdu, Le Taillon, le Gabiètous Occidental.
A l’arrière-plan au centre, el Pico Otal (2 709 m), puis el Pico Tendeñera (2 853 m),
Le retour au col (une heure environ pour l’A/R au pic). Quelques rafales de vent rident la surface de l’eau.
Effets du vent à la surface du lac (profondeur 23 m).
Ce lac n’a pas de déversoir apparent. L’eau s’infiltre par une fissure dans le calcaire et réapparaîtrait 200 mètres plus bas, mais je ne sais pas où exactement.
Les roches sur lesquelles ce lac s’est formé sont très variées, avec des ardoises, des quartzites (roche siliceuse massive, constituée de cristaux de quartz soudés), des grès et des calcaires. Il n’a pas d’origine glaciaire, comme c’est le cas pour beaucoup de lacs dans les Pyrénées. La dépression qu’il occupe s’est en fait formée dans les calcaires par dissolution de cette roche, selon un processus portant le nom de karstification (dissolution des roches carbonatées ou sulfatées au contact de l’eau chargée en acide carbonique).
Le lac est situé juste au contact entre les calcaires solubles et les autres roches non solubles. La dissolution a été plus efficace au niveau de cette zone de contact. De plus, pendant la dernière glaciation, la glace a accentué plus encore la formation de la cuvette. Dans la zone du lac, on peut distinguer les calcaires par leur couleur claire, qui contraste avec les ardoises et les quartzites sombres. Toutes ces roches ont été formées au Dévonien, il y a entre 400 et 375 millions d’années, au fond d’une mer.
La vue zoomée vers le pic de la Bernatoire, après le retour au col.
La vallée de la Canau depuis le col – A partir du bord du cadre à gauche : le pic de la Sède, le Labas (en forme de pyramide), …
Le début de la descente s’effectue par le même chemin, au milieu des marmottes et des troupeaux de bovins. Les Aragonais élèvent des vaches à viande « Parda de montana ». Elle sont issues d’un croisement réalisé au 19è siècle entre des Braunvieh importées de Suisse et des races indigènes du nord-est de l’Espagne. De couleur uniforme, « Parda » signifie « Brune » en espagnol.
Les éleveurs aragonais s’intéressent aussi à notre race limousine, une autre race à viande originaire du Massif Central et en expansion dans les Pyrénées.
Quelques ovins sont également présents.
Les belles lumières de fin de journée.
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Le ruisseau de Lécadé, traversé à gué. Sur la droite, le pic Rond puis le pic Pointu et le massif du Vignemale.
Il en part de partout!
A main gauche, le sentier principal du GR10 vers le barrage d’Ossoue, suivi pour le retour au parking ; à droite, le sentier moins bien marqué de ce matin. Entre les deux, un petit cairn, pas toujours bien visible.
La vue vers la vallée d’Ossoue et le parking principal en contrebas, pendant la descente. A droite, le Soum blanc de Sécugnat puis le Piméné (2 801 m).
L’arrivée au barrage d’Ossoue – La vue sur les Oulettes d’Ossoue, traversées par le ruisseau des Oulettes qui devient le gave d’Ossoue, après le barrage.
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II- L’histoire de la transhumance du lac de la Bernatoire
2-1 Les lies et passeries dans les Pyrénées
Les lies (liens, alliance) et passeries (paix) sont des accords perpétuels conclus par les vallées qui assurent en premier lieu la paix entre communautés, puis la jouissance indivise des pâturages d’altitude. Ces accords sont apparus autour de l’an 1000 ; oraux à leurs débuts, ils deviennent écrits à partir du 14ème siècle. Ils étaient nombreux entre les communautés pastorales situées sur les deux versants des Pyrénées. La charte de paix entre les habitants de la vallée de Tena et de la vallée d’Ossau de part et d’autre du col du Pourtalet en est un exemple. Elle est signée le 13 août 1328 à Sallent ; elle remplaçait un document plus ancien, aujourd’hui perdu.
Il n’existait pas, alors, de frontière entre le Royaume de France et le Royaume des Espagnes. Un premier pas est fait avec le traité des Pyrénées, signé sur l’île des Faisans au milieu de la Bidassoa (entre Hendaye et Béhobie) le 7 Novembre 1659. Il conclut la Guerre de Trente Ans qui oppose les deux royaumes, de 1618 à 1648. Le mariage de Louis XIV et de la fille aînée de Philippe IV, l’infante Marie-Thérèse, scelle la réconciliation des deux pays. Cependant, il ne fixe pas matériellement les frontières. « Les monts Pyrénées, qui ont anciennement divisé les Gaules des Espagnes, feront aussi dorénavant la division des deux mêmes royaumes ». En résumé, la crête des Pyrénées matérialisait par ce traité la frontière militaire et politique entre les deux pays.
Les lies et passeries règlent l’usage des bois, des eaux et des pâturages de part et d’autre de ce qui n’a pas encore de frontière physique. Ils deviennent de plus en plus difficiles à renouveler avec les guerres ultérieures successives entre Rois de France et d’Espagne et finissent pratiquement par disparaitre sous le Premier Empire (1804-1815). Ils réapparaissent avec le traité de Bayonne, conclu le 2 décembre 1856 par Napoléon III et Isabelle II d’Espagne et se poursuivent encore de nos jours.
Les bornes frontières que nous connaissons aujourd’hui et qui marquent physiquement la frontière de l’Atlantique à la Méditerranée ne sont apparues que pendant la seconde moitié du 19è siècle. Le tracé définitif qui a permis ce bornage a fait l’objet de trois traités successifs tous signés à Bayonne par Napoléon III et Isabelle II, en 1856, 1862 (14 avril) et 1866 (26 mai avec acte additionnel du 2 décembre). Au nombre total de 602, elles sont plus nombreuses à l’ouest des Pyrénées (Pays basque) où les conflits étaient les plus fréquents. Elles sont en fait matérialisées, selon l’accessibilité du lieu, sous forme d’une pierre naturelle marquée d’une croix ou d’une borne rapportée portant un numéro. Depuis la signature et le bornage physique initial de la frontière, des bornes bis ont été rajoutées, ainsi que des bornes portant un numéro identique auquel est rajouté une lettre dans l’ordre alphabétique.
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2-2 Les lies et passeries de la vallée d’Ossoue
Les lies et passeries de la vallée d’Ossoue règlent les relations entre la vallée du Barège et la mancommunidad (une forme d’intercommunalité propre à l’Espagne) de la valle de Broto, en Aragon. La vallée du Barège désigne un ensemble de vallées : la vallée du gave de Gavarnie et les vallées affluentes de Héas et du Bastan. Elle couvre l’ancien canton de Luz-Saint-Sauveur.
En vertu d’une très ancienne passerie remontant à 1390, les Barègeois accordaient un droit de dépaissance (action de paître ou de faire paître des bestiaux) aux troupeaux de Broto sur la montagne d’Ossoue, moyennant une rente de 60 ducats, et recevaient en franchise des denrées en provenance d’Aragon. Cet accord fut renouvelé en 1407 et encore plusieurs fois par la suite. Ces conventions, conclues sous la seule responsabilité des autorités des vallées, ont évolué au cours du temps.
À la fin du Moyen Âge (1492, année de la découverte de l’Amérique), les hautes vallées pyrénéennes sortent de leur autarcie ; une économie d’échange se développe entre elles et vers le piémont. Certaines d’entre elles servent de lieu de transit à des courants commerciaux transpyrénéens qui passent par le Somport, Venasque, le Val d’Aran,… . Pour se protéger contre ces risques nouveaux, les vallées pyrénéennes ont naturellement resserré leurs liens ; les vieux accords pastoraux sont renouvelés et ajustés plus fréquemment.
Un registre conservé dans les anciennes archives de la vallée du Barège, qui couvre la période 1563 à 1651, montre que ces accords étaient encore scrupuleusement respectés et faisaient l’objet d’un renouvellement annuel du serment de paix initial. Le jour de la Sainte-Madeleine (22 juillet) des syndics désignés par les communautés de chaque vallée se réunissaient dans l’église de l’hôpital de Gavarnie pour prêter le serment rituel sur des res sacrœ (en latin, choses sacrées), déposées sur l’autel. Au terme de cette cérémonie, les syndics formaient une assemblée qui délibérait sur les affaires communes. Tous les actes étaient enregistrés, année par année, par deux notaires, un pour chaque vallée et rédigés dans un dialecte franco-gascon, mêlé de nombreux hispanismes et apparemment destiné à faciliter l’intercompréhension.
Les actes regroupaient des ordonnances prises non seulement en application des accords précédents mais aussi en règlement de questions nouvelles posées par l’évolution des rapports entre les deux parties, les décisions concernant l’administration et la police des biens en indivis et les décisions de justice relatives non seulement à des infractions aux accords de passerie mais également à des litiges purement civils entre habitants des deux vallées.
De nouvelles dispositions concernant la libre circulation des hommes et des marchandises sont introduites ainsi que des mesures pour se prémunir contre les risques de guerre. Les passeries se transforment en véritables conventions politiques, en traités d’alliance. C’est à cette époque qu’en français le terme de « lies » (liens) s’introduit dans le vocabulaire, en association avec les « passeries ».
Dans le courant du 18è siècle, un accroissement démographique général génère des tensions très vives au sein des communautés. Entre 1734 et 1748, les vallées du Barège et de Broto se livrent une petite guerre. Poussés par la nécessité, les Barégeois occupent la montagne d’Ossoue sur laquelle les troupeaux de Broto avaient un droit exclusif de parcours. Les passeries sont suspendues et il s’ensuit une violente série de coups de main, de prises et représailles qui devait durer jusqu’à ce que les Brotois acceptent une nouvelle concorde moins avantageuse pour eux.
La situation s’est aggravée avec l’effondrement des cadres traditionnels de la vie politique. La suppression des assemblées de vallées par la Révolution française a eu des effets catastrophiques. Les vieilles solidarités ont cédé la place à des rivalités de clocher, à des égoïsmes communaux qui ont abouti, souvent, à des partages et à des aliénations du patrimoine collectif. Faute de partenaires du côté français, les assemblées furent suspendues et la plupart des conventions de passerie, de plus en plus mal appliquées, tombèrent en désuétude sous le Premier Empire.
Le 2ème traité de Bayonne du 14 avril 1862 détermine la frontière franco-espagnole depuis l’extrémité orientale de la Navarre (Soule) jusqu’au Val d’Andorre. Je n’ai pas pu en retrouver une copie. Cependant, j’ai retrouvé que l’article 15 de ce traité a fait que les sept quartiers de la montagne d’Ossoue (de Pouey Aspé, des Especières, de Pouey Arraby, de Sécrès, de Pla-Laccoum, de Pouey Mourou et de Lacoste) sont la propriété commune de la vallée française du Barège et de la vallée espagnole de Broto.
L’article 21 du 3ème traité du 26 mai 1866 rectifie l’Article 15 du traité de limites de 1862 comme suit :
Article 21. Le troisième paragraphe de l’article quinzième du Traité de limites du 14 avril 1862 n’étant pas conforme à l’usage alors existant, lequel la Commission mixte a entendu maintenir sans y rien changer, ledit paragraphe est déclaré nul et il est rectifié ainsi qu’il suit, pour avoir, dans sa nouvelle rédaction, la même force et valeur que s’il faisait partie intégrante dudit Traité :
« Les troupeaux de Broto et du Barège pourront jouir en commun, tous les ans, des sept quartiers d’Ossoue jusqu’au 11 juin ; mais, à partir de ce jour, les fermiers et sous-fermiers auront seuls le droit de pacager dans les quartiers qui leur seront dévolus. »
Dans le cadre de cette entente, les estives de la rive droite de la vallée d’Ossoue sont aujourd’hui réservées aux éleveurs de la Mancomunidad del Valle de Broto et ce, sans contrepartie. Selon l’Article 54 du règlement pastoral de la CSVB, « la vallée d’Ossoue est réservée uniquement aux bovins espagnols à partir du 19 juin jusqu’au 22 septembre, selon les traités de Bayonne et de compascuité » (Droit de pacage qui appartient en commun à plusieurs communautés d’habitants). Les éleveurs espagnols n’activent leurs droits qu’à partir de la fin juillet. Toute introduction de bovins et ovins français durant cette période sera verbalisée (Article 55).
Cet exemple de transhumance unique en son genre symbolise l’entente qui prévaut entre éleveurs français et aragonais ; elle a valu au site son inscription depuis 1997 au patrimoine mondial culturel de l’UNESCO en tant que patrimoine naturel et patrimoine culturel.
En France, la Transhumance pratiquée par les bergers et les éleveurs a été reconnue au patrimoine culturel immatériel (PCI) de notre pays en juin 2020. De plus, l’UNESCO reconnaît en décembre 2023 la Transhumance comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
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2-3 Le déroulement de la transhumance de la Bernatoire
Chaque année, les éleveurs barégeois représentés par la Commission Syndicale de la Vallée du Barège (CSVB) et les éleveurs espagnols de la vallée de Broto en Aragon respectent leurs engagements pris à une date fixée d’un commun accord, en début d’été. Toujours prévue autour de la Sainte-Madeleine (22 juillet), la date exacte de la transhumance de la Bernatoire peut légèrement fluctuer, 23 juillet en 2022 et 30 juillet en 2014.
Les éleveurs de la mancommunidad élèvent autour de 4.000 vaches. Comme toutes ne peuvent venir pacager en terre française, un système de rotation a été instauré entre les villages. Ainsi, autour d’un millier de bêtes d’une douzaine d’éleveurs traverse chaque année les Pyrénées ; la fourchette fluctue de 700 à 1 500 bovins environ, avec parfois des ovins.
Les éleveurs partent de Linas de Broto (altitude 1 200 m environ) pour un voyage de trois jours de marche, avant d’arriver là où l’herbe est plus verte que chez eux. Le premier jour de cette transhumance, les éleveurs espagnols redescendent les bovins de leur lieu d’estive espagnol jusqu’à leur exploitation afin de contrôler leur bon état de santé, les soigner si nécessaire ou encore réaliser les diagnostics de gestation.
Le lendemain, ils entreprennent la montée jusqu’au plateau de Sandaruelo (altitude 1 680 m environ), où les bovins se reposent jusqu’au jour suivant.
Enfin, le troisième jour, les éleveurs mènent leurs bovins du plateau de Sandaruelo jusqu’à l’estive d’Ossoue en passant par le col de la Bernatoire (2 336 m) où ils passent la frontière de bon matin.
A gauche de la plaque, la croix frontière n° 317.
Alors, ce col a-t-il une borne frontière? Ce n’est pas une borne mais une croix, qui est soulignée du numéro 317. Elle ne saute pas aux yeux ; la plaque de l’Unesco a été apposée à son côté.
Les gardes particuliers de la CSVB veillent au bon déroulement de l’évènement, côté français. La Commission gère au total 28 000 ha environ d’estives collectives, dont celles d’Ossoue. Ce sont des biens indivis appartenant à quinze communes de la vallée.
Arrivés du côté français, les éleveurs espagnols donnent aux gardes salariés de la CSVB un certificat sanitaire formalisé pour la transhumance transfrontalière des bovins, rédigé en français et en espagnol. Le bétail trouve ici jusqu’à fin septembre des prairies plus fraîches et plus riches que celles des versants aragonais. Historiquement, en l’absence de frontières administratives, c’est la présence de cette herbe qui leur faisait défaut qui les poussait à venir sur ces estives.
Tous les ans, les éleveurs espagnols et français (représentés par la CSVB) se réunissent autour d’un repas, alternativement organisé par les Espagnols et les Français, pour fêter ensemble ce jour riche de traditions.
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III- Webographie
_ Marie Daubagna, Eva Paluch. Transhumance bovine dans les Pyrénées : enjeux sanitaires et modalité de gestion. Etude de cas de la vallée du barège dans les Hautes-Pyrénées. Médecine vétérinaire et santé animale. 2021 :
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04530337/file/DAUBAGNA%20ET%20PALUCH_28737.pdf
_ Brunet Serge. Les mutations des lies et passeries des Pyrénées, du XIVe au XVIIIe siècle. In : Annales du Midi : Revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 114, N°240, 2002. Lies et passeries des Pyrénées, escartons des Alpes. pp. 431-456.
_ Jacques Poumadère. Itinéraire(s) d’un historien deu Droit. Presses universitaires du Midi. 2011. Chapitre 1. Les Pyrénées et le droit. Les passeries pyrénéennes – Une autonomie à l’épreuve du centralisme monarchique pp 43-54 : https://books.openedition.org/pumi/29403
_ Pierre Tucoo-Chala. Un traité de lies et passeries du Moyen-Age à la Révolution : Ossau et Tena. In : Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 77, N°72, pp. 157-177, 1965.
_ Traité de délimitation du 2 Décembre 1856 – Traité entre la France et l’Espagne pour déterminer la Frontière depuis l’embouchure de la Bidassoa jusqu’au point où confinent le département des basses-Pyrénées, l’Aragon et la Navarre. Signé à Bayonne :
https://www.pyrenees-atlantiques.gouv.fr/contenu/telechargement/39909/254931/file/18561202 … .pdf
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