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La Marmotte alpine, introduite dans les Pyrénées

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Vallon d’Aas de Bielle (vallée d’Ossau), fin août – Une séance de toilettage.

Une silhouette trapue au poil soyeux prend la pose au soleil sur un rocher! C’est une marmotte, un rongeur herbivore bien sympathique et facile à observer en montagne. Originaire des Alpes, elle est devenue l’une des images d’Epinal de nos Pyrénées. On la voit partout sur les cartes postales, les publicités diverses et variées et déclinée en multiples peluches.

Je m’en suis désintéressé pendant longtemps, ne voyant en elle qu’un animal semi-domestique, nourri par des touristes au comportement inapproprié. En fait, j’avais bien tord ; il est intéressant de mieux la connaître.

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I- L’histoire de la présence de la Marmotte dans les Pyrénées

1-1_ La marmotte dans la préhistoire des Pyrénées

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Dans le cirque d’Estaubé (Hautes-Pyrénées), fin mai.

A l’échelle des temps géologiques, on a retrouvé divers fossiles de marmottes dans les Pyrénées, parmi ceux d’autres espèces disparues et liées aux espaces découverts et de caractère généralement froid. En Europe, les fossiles les plus anciens de marmottes n’apparaissent qu’à la fin du Pléistocène inférieur (2,58 millions d’années ou Ma, à 781 000 ans Avant le Présent ou AP). Pour information, le Pléistocène (2,58 Ma à 11 700 ans AP) est découpé en trois sous-époques géologiques. La plus ancienne est le Pléistocène inférieur. Elle est suivie par le Pléistocène moyen appelé le Chibanien depuis 2020 (781 000 à 126 000 ans AP), puis le Pléistocène supérieur.

Lors des fouilles effectuées à partir de 1960 sur le site de la grotte du cap de la Bielle à Nestier (Hautes-Pyrénées, lien en webographie), une sous-espèce de Marmotte des Alpes (Marmota marmota) est inventoriée, Marmota marmota mesostyla (M. m. marmota), datée de la fin du Pléistocène moyen, plus précisément de la fin de la glaciation de Riss (300 000 à 126 000 ans AP).

On retrouve cette sous-espèce dans les dépôts ossifères plus anciens de la carrière de Montoussé (sur Montoussé 1 à 4) près de Labarthe-de-Neste (Hautes-Pyrénées), à nouveau datés du Pléistocène moyen mais antérieurs à la Glaciation de Riss (lien en webographie). En 1975, le Pléistocène moyen des Pyrénées Centrales et Occidentales comprend six gisements fossilifères ; je n’ai pas trouvé d’informations plus récentes.

Toujours en 1975, un cinquième gisement fossilifère est découvert sur le site de Montoussé, appelé Montoussé 5, le premier du Pléistocène inférieur dans les Pyrénées. Il a livré 68 espèces fossiles, parmi lesquelles la marmotte est absente.

M. m. mesostyla disparaît des Pyrénées avec la grande remontée des températures du début de l’interglaciaire Riss-Würm (126 000 à 115 000 AP), caractérisé par un climat tempéré et humide à précipitations régulières et à couvert végétal continu. D’où venaient ces marmottes?

Une autre sous-espèce fossile de la Marmotte des Alpes Marmota marmota, soit M. m. primigenia, fait son apparition et caractérise les dépôts de notre dernière période glaciaire, la Glaciation du Würm (115 000 à 11 700 ans AP). Cette glaciation couvre une grande partie de la dernière sous-époque géologique du Pléistocène, le Pléistocène supérieur (126 000 à 11 700 ans AP). D’où vient-elle?

M. m. primigenia se raréfie et disparaît à son tour des Pyrénées, en raison du réchauffement des conditions climatiques survenu au début de l’Holocène (11 700 AP et toujours en cours) qui entraîne l’extension en altitude de la forêt, privant la marmotte de son biotope de prairies préalpines et alpines. Les effectifs diminuent considérablement ; les marmottes sont repoussées et isolées vers les plus hautes montagnes.

La Marmotte des Alpes Marmota marmota a survécu en évoluant génétiquement dans les Alpes en France et ailleurs en Europe (sous-espèce M. m. marmota). J’y reviens un peu plus loin.

Toutes les datations avancées ici sont régulièrement revues avec l’avancée des connaissances scientifiques.

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1-2_ Origine du Genre Marmota et des marmottes de France 

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Vallon d’Aas de Bielle (vallée d’Ossau), fin août.

Cette recherche est un sujet qui m’a fortement intéressé. Il  m’a permis une fois de plus de me rendre compte qu’il faut être prudent avec le traitement des informations mises à disposition sur le net. J’ai mis du temps à élaborer un consensus simple et cohérent sur ce sujet compliqué, très discuté. Les interprétations des paléontologues ont régulièrement évolué, se sont parfois contredites et ne s’adressent généralement qu’à un public très averti. Les publications sont nombreuses ; je me suis fié aux plus récentes et cohérentes, pour apporter quelques réponses à l’origine de nos marmottes.

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1-2-1_ L’apparition du Genre Marmota en Amérique du Nord

Les marmottes sont répandues et communes dans les archives fossiles d’Amérique du Nord depuis 5 Ma et en Eurasie depuis 2,5 Ma ; elles étaient rares avant cette date. Cela n’est pas dû à un manque d’intérêt (les deux continents sont riches en autres rongeurs fossiles de petite à moyenne taille), mais parce que les espèces n’étaient ni nombreuses ni communes.

Les estimations de datation moléculaire pour le dernier ancêtre commun des marmottes (genre Marmota) et de leurs plus proches parents vont de 7 Ma en 2003 à environ 11 Ma en 2011. Il s’agit de Marmota vetus. Son spécimen type provient d’un groupe imprécis de formations géologiques de l’ouest de l’Amérique du Nord, dont les âges s’étendent entre 12 et 5 Ma ; cela explique l’imprécision sur la datation de sa première occurrence. Cet ancêtre commun était un contemporain de la fin du Miocène (-23 à – 5,3 Ma).

La phylogénétique moléculaire, discipline qui utilise des séquences de macromolécules biologiques pour obtenir des informations sur l’histoire évolutive des organismes vivants, soutient sans ambiguïté que l’ancêtre de la lignée souche des marmottes a bien été Nord-Américain.

Les estimations de datation moléculaire suggèrent aussi que le groupe-couronne des marmottes, formé par l’ancêtre commun Marmota vetus, de Marmota minor et de Marmota korthi, s’est formé il y a 6 Ma. En biologie de l’évolution, un groupe-couronne est le plus petit groupe d’organismes, vivants ou ayant vécu, comprenant un organisme particulier et la totalité de ses descendants.

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1-2-2_ L’arrivée des marmottes en Asie

Le groupe-couronne des marmottes s’est rapidement répandu à travers l’ouest de l’Amérique du Nord, puis il a continué sa route vers l’Eurasie où y a eu au moins une dispersion au cours des temps géologiques. Cette dispersion a pu se produire entre – 6 et – 3 Ma, sans qu’on le sache avec plus de précision ; cette période recouvre approximativement le Pliocène (5.33 à 2.58 Ma). Cependant, le fossile de marmotte eurasienne le plus ancien n’a « que » 3,2 Ma, à la fin du Pliocène ; il s’agit des premières marmottes eurasiennes, Marmota tologoica, apparues dans la région du lac Baïkal (sud de la Sibérie, en Russie orientale). Cette espèce est aujourd’hui éteinte.

Il n’existe encore aucune preuve fossile confirmant la présence des marmottes en Asie avant 3,2 Ma. À partir de cette époque, l’Eurasie est devenue un nouveau centre de diversification, même si l’Amérique du Nord est restée une région de spéciation du genre Marmota (processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes se forment à partir d’ancêtres communs). La plupart des différenciations des marmottes se sont produites avant le Quaternaire, qui débute il y a 2,58 Ma.

De nouvelles invasions de Marmottes d’Amérique du Nord se sont produites à partir du début du Quaternaire et de ses cycles de périodes glaciaire/interglaciaire répétés. On n’a pas mis en évidence de processus en sens inverse.

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1-2-3_ Le rôle déterminant du pont de Béring (ou Beyring)

L’Amérique du Nord s’était séparée progressivement de l’Eurasie au cours du Crétacé supérieur et de l’Éocène. Elle s’en est détachée complètement à la fin de l’Éocène, il y a 35 millions d’années environ, pour former ce que l’on appelle le détroit de Béring (ou Beyring). Actuellement, ce détroit est large de 85 km environ et long de 59 km pour une profondeur moyenne de 30 à 50 m ; il fait communiquer l’Océan pacifique à l’Océan arctique.

Au Miocène, il n’y avait donc pas de voie terrestre entre les deux continents. Les marmottes ont eu cependant des opportunités de dispersion, à la faveur de périodes de glaciation qui faisaient baisser le niveau de la mer.

Pendant ces grandes périodes de glaciation, le niveau de la mer baisse considérablement (de 120 à 130 m pendant la dernière Glaciation de Würm), alors qu’une partie de son eau est absorbée par les glaciers très étendus. Le Détroit de Béring émerge alors et forme un pont terrestre qui permet les échanges faunistiques entre les deux continents. La dernière glaciation a mené les premiers groupes d’humains en provenance de l’Asie vers l’Amérique du Nord, un sujet qui fait toujours débat à ce jour pour la date et l’identité de ces premières populations.

Pendant les épisodes interglaciaires, la calotte glaciaire recule et le niveau de la mer monte. La bande de terre du pont de Béring disparaît sous l’eau.

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1-2-4_ L’arrivée des marmottes en Europe 

D’Asie, les marmottes continuent lentement à coloniser de nouveaux environnements tout en évoluant génétiquement, au cours de ces trois derniers millions d’années. Elles suivent les plaines de l’Est européen et apparaissent en Europe occidentale où elles s’installent jusqu’en Espagne.

Comme je l’ai déjà écrit, les fossiles les plus anciens de marmottes en Europe n’apparaissent qu’à la fin du Pléistocène inférieur (2,58 Ma à 781 000 ans AP). Les fossiles sont extrêmement rares, étant enregistrés que dans une poignée de sites et par un matériel rare, sauf pour le site de Gran Dolina, dans la Sierra de Atapuerca, Espagne. Ils ont 800 000 ans. Par comparaison des mesures dentaires avec d’autres marmottes fossiles du Pléistocène inférieur de Croatie, avec un ensemble de marmottes du Pléistocène moyen et supérieur de France et d’Italie et des fossiles du Pléistocène moyen provenant d’autres sites de la Sierra de Atapuerca, avec quatre espèces de marmottes modernes dont un vaste échantillon de Marmota marmota, ces fossiles ne peuvent pas être attribués à la marmotte des Alpes existante Marmota marmota. Cette marmotte est simplement classifiée Marmota sp. En 2022, elle n’était pas encore liée à une espèce (éteinte ou non) connue.

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1-2-5_ L’arrivée des marmottes en France 

Le statut des formes fossiles des marmottes européennes trouvées en France a été un sujet très discuté, qui le sera peut-être encore avec de nouvelles découvertes.

Je n’ai rien trouvé pour celui de M. m. mesostyla, sinon qu’elle est considérée en 2012 comme la première forme ouest-européenne de la Marmotte des Alpes ; en tant que sous-espèce de cette dernière, elle devait génétiquement beaucoup lui ressembler. C’est celle qui est présente dans les Pyrénées au Pléistocène moyen, à une époque antérieure et contemporaine de la Glaciation de Riss, puis elle disparaît.

En France, on retrouve aussi des fossiles de M. m. primigenia dans beaucoup d’endroits (au moins 23 départements) dont les Pyrénées, à des altitudes généralement inférieures à celles de de l’habitat actuel allant jusqu’à la plaine.

Les travaux de Daniela C. Kalthoff du Musée suédois d’Histoire Naturelle sur ces fossiles de marmottes, publiés en 2003, mettent en évidence entre autres que les marmottes alpines actuelles descendent de ces populations alpines de la fin du Pléistocène. La séparation taxonomique des deux espèces actuelles de marmottes d’Europe (Marmota marmota et Marmota bobak) était déjà établie à la fin du Pléistocène. La répartition entre ces deux espèces résulte de ce que l’on appelle en biologie une spéciation allopatrique, une forme de spéciation qui indique la formation d’espèces par isolement géographique de populations conduisant à des sous-espèces puis à des espèces distinctes. Elle est ici liée à l’alternance de périodes de glaciation. La spéciation est le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes se forment à partir d’ancêtres communs. Les espèces s’individualisent à partir de populations appartenant à une espèce d’origine.

Le réchauffement de la fin du Pléistocène amena le retour de la forêt. Les marmottes Marmota marmota gagnèrent les Alpes, les Carpates avec sa partie la plus élevée, les Tatras, cependant que leurs effectifs subissaient une diminution sévère. Nous ne disposons pas d’éléments permettant de situer le moment de la différenciation des deux sous-espèces actuelles : M. m. marmota dans les Alpes et M. m. latirostris dans les Tatras.

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1-3_ L’acclimation récente de la Marmotte alpine dans les Pyrénées

Il s’agit bien d’une introduction de la Marmotte alpine et non pas d’une réintroduction comme on peut le lire parfois, car elle concerne une sous-espèce différente de celle qui avait colonisé naturellement les Pyrénées lors de la dernière glaciation. Contrairement à ce qui s’est passé pour le Bouquetin ibérique Capra pyrenaica pyrenaica, l’homme n’a pas été responsable de sa disparition historique.

Pour la grande majorité des documents disponibles sur ce sujet, la Marmotte alpine apparaît dans les Pyrénées en 1948 à partir d’individus prélevés dans les Alpes (sous-espèce M. m. marmota), à l’initiative privée du docteur Marcel Couturier (1897-1973), médecin, chirurgien, docteur ès sciences de l’université, alpiniste, naturaliste réputé et chasseur passionné. Il est l’auteur de nombreux ouvrages scientifiques sur la faune de montagne, dont l’Ours brun, le Chamois, etc. Il possédait un permis de chasse naturaliste délivré par le ministère de l’Agriculture, qui l’autorisait à capturer, en tout temps, toutes les espèces d’oiseaux et de mammifères « nécessaires à ses recherches scientifiques ».

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Une vue partielle début octobre du Cirque de Lis (1 596 m), très peu connu, dont les multiples dénominations ont un rapport avec un côté avalancheux.

Il relâche le 15 mai 1948 et par curiosité six marmottes dans le cirque de Lis ou Erès Lits (Hautes-Pyrénées) suivies de deux autres en 1952 et quatre en 1955 (pour éviter une possible consanguinité). En 1954, la colonie avait prospéré avec plus de 25 marmottes. Certaines publications rajoutent, pour le premier lâcher, qu’il était accompagné d’Antoine Knobel à Sassis et de Jean-Marie Sabatut de Saligos (Hautes-Pyrénées).

Son approche est scientifique et il fait un bilan de ses lâchers dans un ouvrage paru en 1955 : Acclimation et acclimatement de la marmottes des Alpes Marmota marmota marmota dans les Pyrénées françaises. Cet ouvrage, qui m’aurait permis d’en connaître un peu plus sur les circonstances de cette introduction, est devenu introuvable ou hors de prix.

J’ai retrouvé les informations suivantes sur le premier lâcher :

_ dans la revue d’Histoire naturelle La Terre et la Vie d’oct.- déc. 1954 (p.225) –  Les Mammifères acclimatés en France depuis un siècle, il est écrit : Sans doute peut-on enfin parler d’acclimatation à propos de la Marmotte (Marmota marmota (L.)) qui n’est connue en France que du Massif alpin, dont elle fréquente les hautes altitudes, à partir de 1.500 m environ. Notre collègue le Dr M. Couturier a procédé à partir de 1946 à l’introduction de ce Rongeur montagnard dans les Hautes-Pyrénées où l’espèce n’existe pas spontanément. Selon des informations qu’il a bien voulu nous communiquer et dont nous tenons à le remercier très vivement, l’essai a parfaitement réussi. La colonie pyrénéenne comprend une vingtaine de sujets qui tous paraissent bien acclimatés dans leur nouveau milieu.

_ dans le même numéro de la revue – La Vie de la Société, Séance Solennelle (p.257), il est écrit que : Antoine Knobel, à Sassis et Jean-Marie Sabatut, de Saligos (Hautes-Pyrénées), ont eu l’initiative en 1948, avec l’accord du Service forestier, d’introduire la marmotte dans le vallon du Lys, de la vallée déserte du Barada, affluent du gave de Pau, introduction dont le succès est maintenant constaté. Ils obtiennent une Grande Médaille de Bronze de la Société Nationale d’Acclimation pour cette action. Cette Société, fondée en 1931 et qui existe toujours, continue à publier et  honorait en 1954 quelques-uns de ceux qui, sincèrement et d’une façon désintéressée, s’intéressaient à la Nature.

Il s’agit peut-être d’une initiative commune entre Marcel Couturier de Grenoble qui aurait capturé les animaux et assuré le suivi rigoureux, Antoine Knobel et Jean-Marie Sabatut qui auraient aidé à la mise en oeuvre sur place, ce qui me paraît compatible.

Il est également rapporté dans certaines publications que toujours en 1948 (!), le guide de haute montagne très connu François Boyrie (né à Cauterets en 1910 où il décède en 2008) lâche quatre ou cinq (!) individus dans sa vallée, près du Pont d’Espagne. Je n’en ai pas trouvé le témoignage direct. François Boyrie reçoit une Médaille de Bronze de la Société Nationale d’Acclimation en 1954, sans préciser pour quelle action. Une piste pourrait être qu’en 1954 au Pont d’Espagne, une introduction tout à fait officielle a eu lieu, sans plus de précisions là non plus.

Marcel Couturier, qui publie régulièrement sur bien des sujets relatifs à la faune de montagne dans La Terre et la Vie, est avare d’informations avant la publication de son ouvrage et je me demande s’il n’y a pas eu une certaine « compétition de paternité » en 1948 pour le lâcher des premières marmottes dans les Pyrénées.

D’autres lâchers auront lieu par la suite sous d’autres initiatives en particulier de Sociétés de chasse, toujours avec des sujets originaires des Alpes et avec plus ou moins de succès (mauvais choix des lieux de réintroduction). Certaines de ces marmottes passèrent la frontière pour aller s’établir en Espagne.

Le parc national des Pyrénées occidentales prend la relève (dès sa création en 1967) avec un premier lâcher d’une douzaine de marmottes (5 mâles et 7 femelles) en deux groupes distincts dans la région du pic du Midi d’Ossau (commune de Laruns) et dans le vallon de Belonce (vallée d’Aspe, sur la commune de Borce). D’autres lâchers suivirent en vallée d’Aspe, vallée d’Ossau, val d’Arrens et cirque de Gavarnie jusqu’en 1973. Un dernier lâcher (ou plutôt un transfert) est effectué en 1988 au pied du pic de Montaigut (Hautes-Pyrénées), à partir de marmottes capturées dans le cirque de Troumouse (Hautes-Pyrénées).

L’espèce s’est très bien adaptée et aujourd’hui, la Marmotte est présente dans toutes nos vallées. Elle a également colonisé le versant espagnol des Pyrénées, commencé dès 1962.

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1-4_ Les espèces actuelles de marmottes dans le Monde

Certaines espèces ont répondu avec succès aux changements climatiques préhistoriques, tandis que d’autres n’ont pas réussi à s’adapter et ont disparu.

Il en existe aujourd’hui quatorze espèces, présentes exclusivement dans l’hémisphère Nord : six d’entre elles occupent le continent nord-américain et les huit autres le continent eurasien.

Actuellement, deux espèces sont présentes en Europe, la Marmotte des Steppes Marmota bobak (habitant l’Europe de l’est et du nord-est et jusqu’au centre du Kazakhstan) et la marmotte des Alpes Marmota marmota. Cette dernière, je le rappelle, est la descendante des populations alpines de la fin du Pléistocène.

La Marmotte des Alpes comprend deux sous-espèces : la Marmotte alpine (M. m. marmota) que l’on observe en France et un peu partout en Europe, sauf dans le massif des Hautes Tatras (entre la Pologne et la Slovaquie) occupé par l’autre sous-espèce, la Marmotte des Tatras (M. m. latirostris). Cette dernière est parfois considérée comme une quinzième espèce, sous réserve car je n’ai rien trouvé de vraiment tranché à ce sujet.

La Marmottes des Tatras a toujours été présente dans les Hautes Tatras depuis la dernière période glaciaire. Elle avait disparu des Carpathes du nord et des Alpes transylvaniennes roumaines à la fin du 19è siècle : en 1973-1974, deux lâchers couronnés de succès sont effectués à partir d’animaux prélevés dans le massif de la Vanoise et en Autriche, mais il s’agit de la sous-espèce M. m. marmota ; il s’agit donc d’une introduction.

Dans les Basses Tatras (Slovaquie), une population hybride est présente suite à l’introduction des deux sous-espèces.

Selon une étude parue en 2019, intitulée « les adaptations climatiques à la période glaciaire piègent la marmotte alpine dans un état de faible diversité génétique », la marmotte alpine fait partie des espèces animales les moins diversifiées génétiquement. La faible diversité s’avère être la conséquence d’événements consécutifs liés au climat, notamment une adaptation de niche extrême à long terme, qui ont également considérablement retardé la récupération de sa diversité génétique.

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II- Présentation de la Marmotte alpine

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Cirque d’Anéou (haute vallée d’Ossau), début juillet. Le bain de soleil d’une marmotte.

La Marmotte alpine est un rongeur herbivore montagnard, l’un des plus gros rongeurs d’Europe, dont la principale caractéristique est d’hiberner pendant environ 6 mois (octobre à fin mars/début avril), chaque année. On a tous déjà entendu cette expression : « dormir comme une marmotte ».

Elle mène une vie très sociale. En tant qu’animal craintif et proie potentielle de multiples prédateurs, elle a tout intérêt à vivre en groupe. L’unité sociale est le groupe familial d’une douzaine d’individus environ. Il est composé d’un couple reproducteur et de ses descendants, des jeunes d’un et de deux ans, ainsi que les petits nés dans l’année. Plusieurs familles, installées à peu de distance, vont former une colonie. Chaque famille a son domaine vital, qui comprend un réseau de constructions souterraines.

Aprement défendu contre l’intrusion des congénères étrangers au groupe familial, les marmottes délimitent leur domaine en frottant leurs joues au substrat pour y laisser leur odeur provenant d’une sécrétion produite par une glande temporale. Cette glande recouvre bilatéralement une zone comprise entre les yeux et les oreilles, s’étendant en direction de la joue.

Ce marquage jugal est essentiellement pratiqué par les dominants, mâle et femelle, à la périphérie mais aussi à l’intérieur du domaine vital, autour des terriers principaux. Intense à la sortie de l’hibernation pendant laquelle toutes les odeurs de marquage ont disparu, cette activité diminue ensuite en avançant dans la saison. Ces odeurs servent également, pour les individus d’une même famille, à se reconnaître entre eux.

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Jeu, ou … bataille?

Ce domaine vital commun fait office de territoire permanent. Sa défense incombe dans sa totalité au couple de dominants et se traduit par des démonstrations agressives, qui peuvent aboutir à une poursuite infernale voire un combat sans merci. Les marmottes ne sont pas si placides que cela. La loi du plus fort règne aussi chez elles et peut causer des drames.

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Brusquement redressée, le cri strident de cette jeune marmotte m’a surpris : je n’avais jamais eu l’occasion d’en voir donner l’alerte d’aussi près.

L’animal, à l’air libre, est toujours sur le qui-vive. Il n’y a pas réellement de sentinelle, toutes sont vigilantes. Elles s’avertissent mutuellement d’un danger imminent en poussant un sifflement très aigu, perceptible à plus d’un kilomètre à la ronde. Aucune confusion possible, tout le monde le reconnait : c’est une marmotte! La plupart du temps, on repère sa présence à l’oreille puis on la cherche visuellement. Si le danger persiste, les animaux se réfugient dans leur(s) terrier(s).

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Sur les hauteurs du lac d’Estaens (frontière franco-espagnole), à la mi-juillet. J’ai observé longuement cette marmotte en train de creuser un début de terrier sous un petit rocher au premier-plan, dans la terre rougeâtre (grès du Permien délités).

Animal fouisseur, son corps est massif, trapu et sans cou apparent. Ses courtes pattes lui donnent une démarche rampante qui lui permet de se faufiler un peu partout ; fortes et robustes, elles sont munies de solides griffes effilées. Elle creuse surtout avec les pattes de devant, les postérieures servant à évacuer les déblais à l’extérieur du trou. Elle possède des organes sensoriels communs à tous les rongeurs que l’on appelle les vibrisses ; ce sont des longs poils répartis en divers endroits de la tête, essentiellement de part et d’autre du museau, sous le menton, sur les joues et au-dessus des yeux. Ces poils lui permettent de percevoir l’environnement et de se diriger dans l’obscurité des galeries souterraines.

Elle a deux paires d’incisives à croissance continue (une paire en haut et une en bas), séparées de 18 molaires par une zone sans dents appelée une barre. La forme en biseau de ses incisives vient du fait que la face arrière, dépourvue d’émail, s’use plus vite et permet de conserver le tranchant. Ces incisives sont des armes redoutables qui infligent des blessures parfois fatales.

Sa vue est excellente, avec un angle de vision de 300°. Elle possède aussi un odorat très développé et son ouïe est fine.

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Sur une pelouse en vallée d’Ossau, mi-août. Une marmotte au pelage nuancé.

La couleur de sa fourrure est variable, du gris au brun roussâtre en passant par le jaune-roux. La tête est généralement plus foncée et les flancs plus clairs que le reste du corps. Elle mue une fois par an, au cours de l’été. Des taches claires apparaissent sur le nez et les joues des individus âgés.

Son poids varie de 3-4 kg à la sortie de l’hiver jusqu’à 8 kg à l’approche de l’hibernation. Elle atteint sa taille adulte à 2 ans. Elle mesure alors de 50 à 60 cm de long, sans la queue qui fait environ 20cm. On arrive à distinguer globalement 3 classes d’âge : les marmottons, les marmottes d’un an et les marmottes de 2 ans et plus. Il n’existe pas de dimorphisme sexuel chez la marmotte alpine et la seule façon de reconnaître un mâle d’une femelle est de mesurer la distance ano-génitale.

Son espérance de vie, de 15 à 20 ans environ, est fortement réduite à moins d’une dizaine d’années par les aléas de la vie sauvage. Considérée comme une gentille peluche pleine de douceur, la marmotte est en fait impitoyable au sein du groupe familial. Le couple dominant, seul autorisé à se reproduire, fait régner sa loi et d’une façon violente. Rester dominant ou prendre la place du dominant, qu’il soit mâle ou femelle, donne lieu à des batailles familiales qui peuvent être mortelles même au sein du groupe jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul vainqueur. Le manque d’enneigement constaté en hiver ces dernières années a également un impact négatif sur le taux de survie des juvéniles.

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III- L’habitat de la Marmotte alpine

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Une pelouse propice aux marmottes ; à l’arrière-plan, l’entrée d’un terrier de fuite sous les rochers.

Les marmottes vivent au-dessus de la forêt sur les pelouses des versants dégagés (pour ne pas se faire surprendre par des intrus ou des prédateurs), à des altitudes variant principalement entre 1 300 et 2 500 mètres dans les Pyrénées (étages subalpin à alpin). Elle installe son terrier en bordure des éboulis et sur les terrains rocheux, avec un sol suffisamment meuble pour être creusé. Il se situe de préférence au soulane, à proximité immédiate d’une zone herbeuse bien ensoleillée avec une pente modérée.

Une même famille dispose en fait de plusieurs terriers sur son domaine vital, d’une superficie variable pouvant aller jusqu’à 2 ha et même bien plus dans les zones peu peuplées comme la vallée d’Aspe. Ces terriers comportent différentes salles dédiées à une fonction précise et reliées par des galeries. On peut les classer en trois catégories, selon leur fonction principale :

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Une marmotte surveillant les environs, à l’entrée de son terrier d’été.

_ un terrier pour l’été (il peut y en avoir plusieurs disponibles). Assez court et peu profond, il comporte plusieurs salles pour le repos et le sommeil, à proximité immédiate de la pelouse où les animaux s’alimentent. Il comporte aussi une nurserie qui permet aussi au couple reproducteur d’abriter sa portée durant l’été. Il est doté d’issues de secours.

_ un terrier pour l’hiver, appelé parfois un hibernaculum (terme utilisé également pour d’autres animaux qui hibernent dans un terrier). C’est le plus profond, jusqu’à trois mètres pour les galeries et la chambre d’hibernation ; il faut trouver un sol favorable. La galerie d’entrée est généralement courte et se poursuit par une longue galerie d’une quinzaine de centimètres de diamètre et jusqu’à une dizaine de mètres en longueur, menant à la chambre d’hibernation. Cette galerie principale distribue également des salles secondaires, des latrines où les individus vont déposer leurs déjections hivernales. Des galeries secondaires peuvent être creusées au fil du temps, créant ainsi un véritable réseau constitué de nombreuses ramifications, latrines et chambres. Courant septembre, on peut observer des marmottes transportant de l’herbe entre leurs dents, ce qui fait dire parfois que « la marmotte rentre les foins ». Cette expression peut porter à confusion car l’animal ne stocke pas de réserves de nourriture dans le terrier. Pour garder un maximum de chaleur pendant l’hibernation, les entrées du terrier sont soigneusement bouchées avec de la terre, de l’herbe sèche et divers autres matériaux isolants disponibles. Outre son rôle isolant, l’herbe sert aussi à constituer une litière.

Certaines publications ne font pas de différence entre le terrier d’été et le terrier d’hiver.

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En vallée d’Ossau (vallon d’Aas de Bielle) – Un abri d’urgence pour sa sécurité.

_ le terrier d’été est complété pendant cette période par plusieurs terriers rudimentaires, des refuges temporaires qui servent uniquement d’abri d’urgence en cas de danger immédiat. Ils sont repérables parfois à la faible quantité de déblais évacués. Cela peut être un simple abri sous un rocher. La marmotte se précipitera au plus proche. On en trouve aisément en bordure d’un sentier de randonnée.

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Fin mai – Aux abris pour cette jeune marmotte, après un dérangement involontaire de ma part!  

Pour les randonneurs circulant hors de sentiers battus ou en crampons à neige, les vieilles entrées de terriers cachés par l’herbe haute ou occultés par la neige peuvent être accidentogènes en y passant le pied dedans.

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IV- Le régime alimentaire de la Marmotte alpine

La Marmotte est un rongeur herbivore. Son régime alimentaire est principalement constitué de végétaux consistant en une grande variété de feuilles, de fleurs et de graines de graminées et autres herbes, parfois d’invertébrés tels que les vers, larves et petits insectes en tout genre (plutôt en début de la saison d’activité). Pour maintenir ses aliments et les manger sans difficulté, elle se sert de ses pattes de devant, comme un écureuil.

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Fin mai, vers 10h00.

Animal diurne, elle se nourrit principalement au lever du soleil et en fin d’après-midi. Sensible à la chaleur, elle se repose au frais dans son terrier aux heures chaudes.

A la sortie d’hibernation, les animaux sont davantage actifs pour reprendre du poids, ainsi qu’avant l’hibernation pour se constituer une réserve graisseuse suffisante pour survivre aux rigueurs hivernales.

Comme d’autres rongeurs dont le lapin ou le castor, la marmotte est caecotrophe, c’est-à-dire qu’elle réingère certaines des premières crottes qu’elle a produites pour en achever la digestion. Elle ne boit jamais, se contentant de l’humidité contenue dans les plantes et de la rosée qui peut s’y déposer.

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Cette marmotte est en train de se faire attaquer par un traquet motteux (Oenanthe oenanthe), un migrateur montagnard qui passe l’hiver jusqu’en Afrique équatoriale. Il a son nid dans des tas de cailloux, un trou dans la terre ou même un terrier abandonné. La marmotte est connue pour manger parfois les œufs de petits oiseaux.

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V- L’hibernation longue durée chez la Marmotte alpine

Les marmottes ont adopté, tout le long de leur évolution, une stratégie d’adaptation au froid qu’est l’hibernation, que ce soit à des latitudes élevées pour certaines espèces comme la Marmotte des Steppes ou à des altitudes élevées, comme pour la marmotte alpine. Cette adaptation leur permet de vivre au ralenti quand la nourriture est absente. Une autre adaptation connue de la marmotte alpine est l’élimination complète de ses parasites avant l’hibernation.

A l’approche de l’automne, vers la mi-septembre, le groupe familial commence à aménager ses quartiers d’hiver. Les marmottes amassent une grande quantité de fourrage, qui leur permettront de limiter la déperdition de chaleur dans l’hibernaculum.

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02 octobre, 14h30 – Cette marmotte va bientôt rentrer en hibernation.

En octobre, toutes les marmottes se sont terrées à l’arrivée du froid, après la constitution de leurs réserves adipeuses. Elles sont rentrées dans leur terrier et s’y sont enfermées hermétiquement. Elles se roulent en boule, le nez dans la queue, en se regroupant pour limiter les pertes de chaleur. Les adultes, plus résistants, vont réchauffer les jeunes, nés le printemps précédent. Encore fragiles, ils ne sont guère à même d’hiberner seuls. Plus la famille est nombreuse en adultes et plus les chances de ressortir sains et saufs au printemps sont importantes pour tout le monde.

Serrées les unes contre les autres, leur métabolisme se met alors au ralenti et toutes leurs fonctions vitales sont réduites. Leur température corporelle initialement autour de 38°C, chute d’une trentaine de degrés jusqu’à atteindre autour de 7 et même jusqu’à 5°C maintenus par un processus de thermorégulation (thermogénèse). Conserver une température constante durant six mois, même si elle est basse, n’est possible qu’en groupe. Leur rythme cardiaque et respiratoire diminue considérablement.

Elles passent ainsi l’hiver en famille en vivant uniquement sur les stocks de graisse accumulés durant l’été. Elles peuvent perdre le tiers de leur poids chez les adultes et jusqu’à la moitié chez les animaux les plus jeunes.

Durant l’hiver quelques courts réveils spontanés coupent le sommeil, au moins toutes les 3 à 4 semaines, sous l’effet des déchets de l’organisme qu’elle doit et va évacuer dans des latrines dédiées à cet effet, dans les profondeurs du terrier. Ce sont des moments éprouvants ; ces phases de réveil où le métabolisme et la température corporelle augmentent brusquement sont accidentogènes et consomment une part non négligeable de la graisse emmagasinée.

Fin mars, les premiers réveils définitifs se produisent, liés à un cycle endocrine interne. Les animaux d’une même famille doivent probablement se réveiller tous dans le même laps de temps. Ce réveil avec la récupération complète de toutes les fonctions vitales est progressif. Les mâles adultes émergent généralement les premiers.

La neige n’a pas toujours fondu ; la marmotte peut même devoir se frayer un chemin dans la neige pour rejoindre la lumière du jour. La nourriture est rare. Selon l’altitude du terrier, plusieurs semaines peuvent s’écouler avant la fonte complète et l’émergence de nouvelles pousses de plantes. C’est la période la plus dure pour les animaux qui doivent continuer à vivre sur leurs réserves ; la mortalité à ce moment-là est conséquente.

Après la récupération complète des activités physiologiques, l’activité reprend ; les morts durant l’hiver sont évacués et les terriers sont nettoyés. Les animaux ont un mois environ pour reprendre un peu de poids et entrer en reproduction.

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VI- La reproduction de la Marmotte alpine

La reproduction suit la sortie d’hibernation et n’a lieu, au mieux, qu’une fois par an. Les femelles reproductrices sont réceptives au maximum un jour. La maturité sexuelle peut être atteinte après la seconde hibernation, mais les marmottes ne se reproduisent habituellement pas avant leur quatrième été ; on l’a vu, cela nécessite d’avoir un statut de dominant au sein de la famille ou d’avoir réussi à constituer une nouvelle famille.

Fin avril, le rut débute et il se prolonge jusqu’à début mai. Il ne se passe normalement rien de spectaculaire, sauf éventuellement quelques échauffourées entre le mâle dominant et les éventuels concurrents qui voudraient prendre sa place.

De fin mai à début juin, les naissances ont lieu à l’abri du terrier d’été, après cinq semaines de gestation. La mère donne naissance à 2 à 7 petits marmottons (quatre en moyenne) qui naissent nus et aveugles, pesant environ 30 grammes. Ils dépendent totalement de la chaleur de leur mère qui reste avec eux au début, prenant soin de les recouvrir de foin lors de ses absences que pour de courtes périodes au cours desquelles elle s’alimente. Le lait maternel constitue leur seule alimentation durant leurs six premières semaines de vie. Elle les élève avec l’aide de ses auxiliaires, les jeunes issus des deux précédentes portées. Subordonnés, ils ne sont là que pour aider à la garde et à l’éducation des petits. Ces jeunes finiront par quitter le groupe familial pour tenter de fonder leur propre famille.

Au bout de deux semaines, les petits ont suffisamment de duvet de poils sur leur peau pour assurer leur thermorégulation et la mère peut s’absenter plus longtemps. Ils ouvrent les yeux et acquièrent leur pelage au bout de quatre semaines.

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07 juillet, 18h00 – Les interactions amicales sont courantes entre tous les individus d’un même groupe social ; le mâle dominant y participe moins. 

A partir de la mi-juillet environ, les marmottons effectuent leur première sortie du terrier ; ils ont six semaines. Ils délaissent alors le lait maternel. Fin juillet à début août, au bout de deux mois, ils sont sevrés. Leur croissance va alors être très rapide. Les jeunes marmottons de l’année, pesant au plus 500 g quand ils sortent du terrier, atteignent 5-6 kg à la fin de l’été. Il ne sera pas toujours évident de les identifier à leur corpulence, sinon comparativement. Il me semble cependant que leur fourrure est plus sombre et uniforme (sous réserve). La mortalité est importante la première année, pouvant aller jusqu’à un jeune sur deux.

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01 août, 10h30 – Un marmotton vigilant.

Les jeunes (mâles et femelles) restent avec leurs parents au moins jusqu’à leurs deux ans, âge où ils ont alors atteint leur maturité sexuelle. Ils sont en principe chassés pendant la saison précédant la troisième hibernation ou plus rarement à la sortie de celle-ci, indifféremment par le mâle ou la femelle dominante.

Ils ont peu de possibilités de se reproduire au sein de la famille. Un mâle secondaire y parvient parfois s’il accède à la dominance directement dans son groupe natal, mais pas les femelles. S’ils veulent (mâle et/ou femelle) perpétuer eux-mêmes l’espèce, ils doivent fonder une autre famille ailleurs, une tâche difficile. Pendant cette errance, ils peuvent aussi à tout moment disputer la dominance dans une autre famille de la colonie ou bien d’ailleurs. Le changement de mâle dominant provoque une hécatombe chez les marmottons.

Un dominant qui perd sa place est chassé du groupe. La vie en solitaire pour toute marmotte est très aléatoire et à risques, en particulier durant l’hibernation. A l’arrivée de l’automne, il peut arriver que des marmottes chassées n’aient pas pu intégrer un autre groupe familial et doivent hiberner seules ; cependant, il arrive qu’un regroupement de quelques individus marginaux puisse se produire, regroupement prenant le plus souvent fin avec l’hibernation.

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VII- Présence et population de la Marmotte alpine en France

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Farniente au soleil du soir.

La Marmotte alpine, présente en France initialement que dans les Alpes (massifs des Ecrins, la Haute-Maurienne, le Mercantour, le Queyras, la Vanoise, etc.), a été introduite avec succès dans les Pyrénées (1948 à 1988) et dans plusieurs secteurs du Massif Central (1959 – 1991), dans la seconde moitié du 20è Siècle.

Dans les Alpes du Nord, des lâchers officiels ont eu lieu en en 1974 et 1975 dans le massif du Vercors, afin de renforcer une population très clairsemée ; elle a fait aussi son retour dans le massif de la Chartreuse, grâce à des opérations officielles de lâchers en 1940, puis en 1980.

Dans le Massif Central, elle a officiellement été introduite dans l’Ardèche (massif du Mézenc et du Tanargue de 1980 à 1991, 600 individus dont 200 marmottons en 2021), le Cantal (1964 et 1989, environ 200 marmottes présentes en 2009 et 350 en 2019),  le Puy de Dôme (massif du Sancy, entre 1959 et 1981 ; environ 600 marmottes en 1996) et la Lozère (introduite, mais aucune d’information trouvée). La Haute-Loire a par la suite été colonisé naturellement par des marmottes issues de lâchers effectués dans l’Ardèche.

Dans les Vosges alsaciennes, plusieurs tentatives d’introduction semi-clandestines d’individus capturés dans la Vanoise ont eu lieu entre 1973 et 2001. Alors que ces marmottes étaient systématiquement victimes des prédateurs lors des deux premiers essais (Parc naturel régional des Ballons des Vosges), une petite population a survécu et s’est maintenue sur le troisième et dernier site de lâcher situé dans le massif du Champ du Feu, culminant à 1 098 mètres d’altitude. Elle stagnait à une vingtaine de membres. Aujourd’hui, cette population est en train de bien se développer et essaimer en dehors du site de lâcher, d’après le Groupe d’Etudes d’Eudes et de Protection des mammifères d’Alsace. En août 2023, ce phénomène a été repris dans l’actualité des medias régionaux. Il est encore bien trop tôt pour imaginer une pérennisation de l’espèce en ces lieux ; le biotope n’y est pas propice.

Dans le Jura, la marmotte alpine avait disparu à la même période et pour les mêmes raisons que dans les Pyrénées. On ne la trouve aujourd’hui que du côté suisse où des premiers lâchers ont eu lieu à la fin du 19è et au début du 20è siècles, puis au cours des années 70.

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Il n’existe pas, à ce jour, de comptage officiel de la population de marmottes en France ; ce n’est pas une espèce prioritaire à surveiller. Les données trouvées sur le Net sont anciennes et/ou ne sont pas cohérentes. Au début des années 2000, on comptait environ 10 000 individus dans les Pyrénées.

Une étude réalisée par l’OFB (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage – Évolution de la répartition communale du petit gibier de montagne en France – Décennie 2000-2009) signale que le nombre de communes de présence régulière de la marmotte alpine en France a diminué entre 2000 et 2009 (0.6% par an), alors que ce nombre était en constante augmentation depuis les années 50 (3% par an).

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VIII- Menaces et protection de la Marmotte alpine

8-1_ Menaces sur la Marmotte alpine

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Une marmotte dressée sur ses pattes arrière, pour mieux surveiller le danger.

Une tradition circule à ce propos : un seul sifflement très strident, bref, le danger vient du ciel ; plusieurs sifflements réguliers, il vient du sol. Je ne peux le confirmer, n’ayant jamais pu mettre vraiment en évidence s’il s’agit d’une coincidence ou d’un acte délibéré.

Je crois bien plus à cette autre version : un seul sifflement bref pour un danger imminent et on se précipite aux abris sans perdre de temps ; plusieurs sifflements répétés pour un danger lointain, qui mettent tout le monde en alerte renforcée mais sans vent de panique.

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Fin mai, en plein midi sur la pente menant au Pène de Peyreget (vallée d’Ossau). Un Renard en train de se soulager me défit du regard, sur un site à marmottes.

Les principaux ennemis naturels de la marmotte sont le Renard roux (Vulpes vulpes) et l’Aigle royal (Aquila chrysaetos) pour lesquels elle représente une proie facile, en particulier les marmottons. Son introduction a eu un impact positif sur l’écosystème des Pyrénées en dynamisant la population de l’Aigle royal dont les effectifs périclitaient. Cela pourrait ne pas durer.

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Début octobre – Un Aigle royal, prospectant les pentes du cirque de Lis, rabotées depuis longtemps par les avalanches.

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Les scientifiques décrivent un déclin continu des populations de marmottes depuis les années 1990-2000. L’espèce est menacée par de multiples facteurs : l’artificialisation des sols, la destruction de leur habitat, la surfréquentation humaine liée à l’explosion des activités de loisirs, la présence accrue de chiens et le comportement inappropriée de touristes. Si ce sont des facteurs sur lesquels on peut relativement intervenir, il en est un bien plus préoccupant, le dérèglement du climat.

En effet, on commence à alerter sur les conséquences du manque d’enneigement l’hiver sur le taux de survie des juvéniles. Un enneigement important et de longue durée est un élément favorable. En effet, le sol ne gèle pas lorsqu’il est recouvert de neige et cela limite ainsi les activités de thermorégulation des marmottes au cours de l’hibernation. Si la couche de neige qui isole les terriers est trop fine ou absente, le froid force les marmottes en hibernation à consommer leurs réserves d’énergie jusqu’à mourir de dénutrition.

Dans la vallée d’Ossau, une équipe de naturalistes décompte chaque année la Marmotte : depuis 2016, le taux de reproduction des marmottes est en baisse dans les Pyrénées. En cause le réchauffement climatique qui influe sur toute la faune. On est sur une tendance globale de baisse de population des espèces de haute altitude. Potentiellement, cela affectera toute la biodiversité explique Fanny Mallard, coordinatrice du programme Sentinelles du climat pour Cistude Nature.

Sur cinq espèces suivies dans la vallée d’Ossau, toutes sont déjà touchées par le réchauffement climatique. En effet, les températures élevées menacent la biodiversité de la montagne.

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8-2_ Protection de la Marmotte des Alpes

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Vallon d’Aas de Bielle (vallée d’Ossau), fin août. 

La Marmotte des Alpes est actuellement une espèce protégée par l’annexe III de la Convention de Berne (page 22), relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe. On remarque qu’elle n’est pas « strictement » protégée. Les espèces figurant dans cette annexe doivent faire l’objet d’une réglementation nationale afin de maintenir l’existence de ces populations hors de danger. Des dérogations sont prévues par la convention si l’intérêt de la protection de la faune et de la flore l’exige : « pour prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ; dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, de la sécurité aérienne, ou d’autres intérêts publics prioritaires ; à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l’élevage ; et pour permettre, sous certaines conditions strictement contrôlées, la prise ou la détention pour tout autre exploitation judicieuse, de certains animaux et plantes sauvages en petites quantités ».

Classée parmi les 89 espèces chassables dans la catégorie « petit gibier de montagne » par la législation française (arrêté ministériel du 26 juin 1987 modifié pris en application de l’article L.224.1 du Code rural), elle est soumise aux règles de gestion cynégétique. Elle peut bénéficier localement de mesures de protection ou faire l’objet de dérogations. A la date de cette publication, elle est interdite dans le Cantal, la Drome, la Haute-Garonne, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme et les Pyrénées-Orientales. Ailleurs, par exemple, la préfecture de la Savoie a autorisé la chasse de la marmotte pour la saison 2023-2024 de l’ouverture générale au 11 novembre, argumenté sur la base de dégâts agricoles suffisants (interdite sur le territoire de 31 communes).

Le nombre de prélèvements peut être limité et ils doivent tous être consignés sur un carnet individuel conformément à l’arrêté du 7 mai 1998 instituant un carnet de prélèvement obligatoire pour certains gibiers de montagne, assurant un suivi des prélèvements de l’espèce, permettant à la police de l’environnement d’effectuer des contrôles.

La chasse est autorisée dans les Pyrénées Atlantiques de l’ouverture générale jusqu’au 1er octobre 2023 (déterrage et chasse avec chien interdits) ; cependant, elle y est rarement pratiquée. Je n’ai pas trouvé de mention dans l’arrêté ouverture/fermeture 2023-2024 pour les Hautes-Pyrénées, où elle me semble donc interdite.

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IX- Une famille de marmottes en vidéo

La vidéo qui suit est créée à partir de séquences filmées à l’affût avec un téléobjectif, à la mi-juillet en vallée d’Ossau. Les membres de cette famille de marmottes sont sortis les uns après les autres à la fin d’une chaude journée, en commençant par une séance de toilettage après la sieste. Un adulte, probablement le mâle dominant (la femelle vienne normalement de mettre bas), reste imperturbable :

Une famille de marmottes en vallée d’Ossau from lanaturemoi on Vimeo. Pour lancer la vidéo, cliquez dessus. (Viméo est sans publicité, contrairement à YouTube).

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X- Bibliographie et webographie sur la Marmotte

_ La Terre et la Vie – Revue d’HISTOIRE NATURELLE – Année 1954 – N° 4 – Publié par la Société Nationale d’Acclimatation : https://amis-museum.fr/wp-content/uploads/2018/12/SAMNHN_bulletin_19541001_004.pdf

_ Gallia Préhistoire / Année 1986 /29-1 / pp 63-141 – Fouilles et monuments archéologiques en France métropolitaine (Editions du CNRS) – La grotte du cap de la Bielle à Nestier (Hautes Pyrénées). Fouilles M. Debeaux, 1960 – André Clot et Geneviève Marsan : https://www.persee.fr/doc/galip_0016-4127_1986_num_29_1_2242

_ Bulletin de l’Association française pour l’étude du Quaternaire – Les dépôts ossifères de Montoussé (Hautes-Pyrénées) – André Clot – Année 1975 – N° 44-45 –  pp. 205-206 : https://www.persee.fr/doc/quate_0004-5500_1975_num_12_3_1269

_ Thèse du Diplôme de Doctorat Marie-Claude Bel soutenue le 23 octobre 1998 – La marquage jugal chez la Marmotte alpine Marmota marmota : https://projetmarmottealpine.files.wordpress.com/2012/09/bel_thesis.pdf

_ Courrier de l’environnement de l’INRA n°36, mars 1999 – La Marmotte alpine, par Raymond Ramousse, Michel Le Berre et Olivier Giboulet : https://ancm-chasseursdemontagne.com/onewebmedia/Marmotte%20Inra.pdf

_ Atlas des mammifères sauvages d’Aquitaine 2011-2015 – Tome 6 : LES RONGEURS, LES ERINACÉOMORPHES ET LES SORICOMORPHES – La Marmotte des Alpes (pp. 53-57) : http://files.biolovision.net/www.faune-aquitaine.org/userfiles/Atlasmammifres/AMSATome6.pdf

_ FSU Biology – Marmot evolution and global change in the past 10 million years – 10 mars 2015 :

https://www.bio.fsu.edu/steppanlab/assets/files/Polly%20et%20al%20Marmota%20chapter%20Evo%20of%20Rodents%20proof.pdf

_ National Institutes of Health (.gov) – Ice-Age Climate Adaptations Trap the Alpine Marmot in a State of Low Genetic Diversity – 20 mai 2019 – 23 auteurs : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6538971/

_ Présence ancienne de la marmotte, Marmota marmota L., dans le département de l’Ain et en particulier dans le Bugey – Michel Philippe, Marc Cartonnet, Daniel Ariagno et Marcel Jeannet – Bull. mens. Soc. linn. Lyon, 2020, pp. 131-163 :

https://sec99c6618ad1a398.jimcontent.com/download/version/1605506850/module/15969439524/name/Marmotte%202%20%281%29.pdf

_ Les Sentinelles du climat – Chapitre 13. La Marmotte des Alpes un mammifère des pelouses et rocailles pyrénéennes – 2020 : https://technique.sentinelles-climat.org/wp-content/uploads/sites/2/2022/03/2021-result-marmotte.pdf

_ LNEG (Laboratorio Nacional de Energia e Geologia) – The oldest European marmots-Metrical study of the Marmota fossils from the Early and Middle Pleistocene of Sierra de Atapuerca sites (Burgos, Spain) – 2022 : https://www.lneg.pt/wp-content/uploads/2022/03/09-Estraviz-Lopez-et-al_ER_SM.pdf

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