Le maître des lieux depuis plusieurs années – Un vieux « 12 cors » irrégulier avec une fourche et une empaumure à trois épois.
La concurrence est là aussi – Un jeune « 12 cors » irrégulier avec deux empaumures à trois épois.
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Nous sommes le 30 septembre, en milieu de semaine ; c’est un moment en principe plus propice à l’observation. L’épisode de mauvais temps est provisoirement terminé et aujourd’hui, il y a enfin un peu de soleil ; il me tarde d’aller voir ce qui se passe en montagne.
Au stationnement, il n’y a que deux voitures, c’est bon signe pour la tranquillité des lieux. Il reste çà et là de la neige, ce qui n’est pas pour me déplaire ; cela peut agrémenter les photos. A peine me suis-je éloigné que je croise un berger qui redescend. Il a encore quelques bêtes dans les estives et a perdu le contact avec certaines ; il était à leur recherche. Il est interpelé par la présence de mon téléobjectif en berceau sur un bras et on échange quelques mots. « C’est bon çà, pour photographier l’ours ». Je suis surpris par sa remarque et je ne sais pas trop quoi lui répondre. L’ours est un sujet sensible et je suis sur mes gardes. « Oui, si j’en vois un, mais je ne vais pas lui courir après ». Il me répond : « il est du côté du … depuis quelque temps, il m’a pris quelques bêtes. Oui, celui qui … ». Je suis l’actualité de l’ours dans les Pyrénées depuis quelques années et je commence à en connaître certains, ceux qui font parler d’eux. « Ah, vous parlez de l’ours … ». Je comprends le désarroi de ces bergers et je ne veux pas faire de faux pas. L’échange continuera encore un peu, intéressant, puis on continue chacun son chemin.
Un peu plus loin, c’est un couple de jeunes randonneurs qui redescend également et qui m’apostrophe : « vous photographiez quoi? ». Au même moment, j’entends venant d’un peu plus haut mon premier raire et je lève mon autre bras dans cette direction : « je suis là pour çà ». De suite, çà leur parle : « nous avons vu des biches au … ; on a vu aussi les cerfs. C’est beau ».
J’aime ces rencontres en montagne, quand il y a peu de monde ; elles sont très propices aux échanges. Je retiens le lieu mais il est trop tard pour moi pour m’y rendre ; je ne serais jamais de retour à la voiture avant la nuit. J’ai toujours une frontale avec moi mais je ne veux pas avoir à m’en servir, sauf par nécessité.
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Sur les hauteurs, les biches n’ont pas été dérangées. J’en voie déjà une, en train de brouter.
Puis un grand mâle apparaît sur la crête, le maître de la place de brame.
Le « cirque » commence. Monsieur va importuner ses biches une bonne partie de la soirée, et sans doute plus.
Celui-là, je le connais bien. C’est un « Onze Cors » avec une fourche d’un côté et une empaumure à trois épois de l’autre. La règle est de ne tenir compte que du côté où il y a le plus d’andouillers et on multiplie leur nombre par deux. Quand le nombre n’est pas similaire de chaque côté, on dit alors du cerf qu’il est « mal semé ». En fait, je pourrais appeler mon bestiau le « Douze cors mal semé ».
Fidèle depuis plusieurs années déjà à cette place de brâme, il est le maître des lieux et le fait bruyamment savoir. Une belle bête fière, massive! On parle souvent en ce moment du Roi de la forêt. Lui, il est pour moi le Roi de la montagne (du moins de ce secteur). Il est bien excité. Toute la soirée, je vais l’observer en train de poursuivre ses biches, le nez au vent avec la lèvre supérieure retroussée et tirant la langue, le sexe parfois en érection. Je le vois faire son cinéma tous les ans mais je ne l’ai encore jamais surpris en train de s’accoupler.
Les biches sont en train de s’alimenter. Le faon se repose au pied du grand mâle, pas du tout effrayé par ses vocalises.
Il ne prend plus le temps de manger.
Alors que les biches paissent tranquillement, il passe son temps à leur casser les oreilles,
et à les poursuivre …, tirant la langue pour humidifier son museau et mieux sentir si leurs effluves sont favorables.
Ce soir, il n’arrête pas de raire. Les concurrents sont avertis, il est là!
Une partie de son harem est trop descendu et se rapproche du territoire d’un autre cerf. Il se manifeste de loin.
Elles ne bougent pas. Il doit intervenir. Il descend alors lourdement, tout en donnant de la voix.
Les trois biches (la troisième est hors champ) et les trois faons restent imperturbables à ses raires.
Il intervient! Les biches lèvent la tête. Dans les hardes que j’observe et sollicitées par un cerf, les daguets de l’année précédente ont été chassés par celui-ci (ou par sa seule présence sur les lieux).
Contournement de la harde pour repousser ce petit monde vers les crêtes, tout en musant. Il est difficile pour lui de maintenir des biches récalcitrantes groupées et hors de portée d’un concurrent éventuel.
Ses allées et venues sur les flancs de la montagne sans se nourrir lui font perdre du poids. Les conséquences se feront ressentir vers la fin du brâme, où il sera de plus en plus fatigué. Les biches, quant à elles, restent toujours très zen.
En l’absence du maître des lieux sur les crêtes, un jeune cerf prometteur apparaît. C’est aussi un 12 cors irrégulier avec deux empaumures à trois épois ; il a un seul surandouiller.
C’est l’occasion de faire « ami-amie » avec une biche de l’ « Ancien ».
Puis, il continue de s’enhardir et se rapproche du reste de la harde.
Cela ne va pas durer. L’ « Ancien » est remonté, encore leste, et donne de la voix ; cela suffira à éloigner le jeune prétendant. Les deux mâles vont alors remonter vers la ligne de crête, chacun de son côté.
Depuis son promontoire, il domine la situation.
Les biches sont à ses pieds, dans la pénombre.
Il est intarissable et on peut deviner pourquoi!
Un peu plus haut sur la même crête, le jeune mâle est toujours là. Il observe lui aussi les femelles en contrebas et restera silencieux, à distance prudente du vieux mâle.
Ce n’est plus qu’une question de peu de jours pour lui, il pourra bientôt tenter sa chance quand l’ « Ancien » sera trop affaibli pour le chasser.
Une forme se détache sur une autre crête. Un isard! Après avoir brouté un bon moment, il va tranquillement se coucher sur un buisson de myrtillier.
Le temps passe et je ne vois plus grand chose, sinon aux jumelles. A moment donné, je tourne la tête vers l’orée de la forêt et quelque chose m’intrigue : je me sens observé mais rien ne bouge. A cette heure, des biches devraient être déjà sorties à découvert. Une forme attire quand même mon attention. Je l’observe aux jumelles et que voie-je? Une vieille connaissance, du moins j’en suis persuadé! Un cerf que j’ai déjà photographié par le passé!
L’observation de la position des oreilles d’un cerf (ou d’une biche) a une grande importance pour connaître son humeur du moment. Lui, je sais qu’il a aperçu quelque chose et il est intrigué : c’est sûr, c’est moi qu’il observe. Il va rester dans cette position environ six minutes où je déclenche de temps en temps. Puis il continuera sa route entre les sapins tout en s’éloignant tranquillement.
On ne s’était pas revus depuis le 03 octobre 2018! Il reprend exactement la même pose pour m’observer.
De retour à la maison, ce cerf m’a posé quelques questionnements. En effet, ses bois ressemblent bien à s’y méprendre à ceux d’un congénère photographié au même endroit il y a deux ans, de même que ses oreilles, sa bouille, son allure générale. Il y a quand même un détail important : le cerf d’aujourd’hui n’a pas de surandouillers. Ceux-ci n’apparaissent qu’à partir de la troisième année chez les cerfs et celui-ci, plus âgé, devrait donc en avoir mais cette présence n’est pas systématique. Il pourrait donc s’agir d’un autre cerf très ressemblant.
D’après la littérature et quand la Nature a fait son choix, la présence – absence des surandouillers est souvent constante dans le temps, mais pas de manière rigoureusement systématique ; de même, le passage du surandouiller d’un bois à l’autre d’une année à l’autre est courant. Avec cette information, je suis maintenant persuadé qu’il s’agit bien du même cerf !
J’ai déjà eu le privilège de le voir de très près il y a deux ans, une anecdote que l’on peut retrouver en fouillant dans mes archives. Une belle rencontre involontaire et silencieuse, où il s’était présenté devant moi en toute simplicité ; un frisson d’adrénaline inoubliable.
Une biche (derrière le sorbier des oiseleurs) et son faon – Elle semble statufiée.
Elle est immobile depuis un petit moment et seule sa tête pivote imperceptiblement. Son regard semble suivre un déplacement derrière moi! Ce n’est pas moi qui l’intrigue.
Il n’est pas courant pour moi de voir le cerf sortir du couvert avant ses biches. Généralement, il est le dernier à se montrer. Où sont donc ses dames? A force de fouiller avec mes jumelles, je remarque un faon accompagné d’une autre forme, derrière quelques sorbiers des oiseleurs (Sorbus aucuparia). Le faon disparaît et la forme ne bouge pas. J’ai un doute et je prends un cliché que je zoome : il s’agit d’une biche, préoccupée par quelque chose. Je me retourne pour m’apercevoir qu’un groupe d’une dizaine de personnes est en train de remonter un sentier en file indienne dispersée, en contrebas dans le vallon. Ils sont silencieux mais très voyants. Je devine pourquoi ils sont là. J’attends encore un peu mais je sais déjà que les biches (et le cerf) ne sortiront pas, du moins pas avant l’heure limite que je me suis fixé. Mon cerf de tout à l’heure a commencé à pousser quelques raires assez proches dans la forêt mais il ne me fait pas hésiter : il faut savoir se quitter. L’observation est terminée pour ce soir et j’arriverai au bon moment à ma voiture.
Descente d’un groupe à la frontale.
Après avoir déposé mes affaires, je m’attarde pour écouter les cerfs se manifester là-haut, dans les profondeurs de la nuit. Ma soirée a été très positive. J’aime savoir que les cerfs que je reconnais sont revenus. Guidés par leur instinct, ils sont à leur rendez-vous annuel malgré toutes les embûches auxquelles ils ont été confrontés depuis leur précédente migration automnale. Absent(s) une année et le doute s’installe! Tout est fragile.
Les journaux, les télés, les réseaux sociaux font de plus en plus de publicité sur cette période particulière de la vie des cervidés qu’est le BRAME. J’y contribue moi aussi, à mon niveau en alimentant ce blog.
On peut se contenter de l’écouter, en silence ; ce sont des moments très prenants. Il y a aussi le plaisir de le voir, de le photographier. Bien que j’ai le matériel qui me le permettrait, vous ne verrez que rarement des gros plans de cervidés sur mon site, à moins que ce type de photo soit compatible avec le respect de l’animal dans un cadre naturel et sauvage.
Le lever de la Pleine Lune sur le chemin du retour.
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