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La Vipère Aspic dans les Pyrénées

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05 septembre 2024 – Le regard sombre d’une Vipère aspic.

Par une journée plutôt pluvieuse de ce début septembre, j’ai pu observer tranquillement une Vipère aspic (Vipera aspis). Cela ne m’était pas arrivé depuis un certain temps. Elle était là, lovée en bordure d’un sentier dans une petite vallée des Pyrénées secrètes où peu de monde viendrait la déranger.

De façon générale, les vipères ne sont pas agressives, mais elles peuvent se défendre si elles se sentent en danger ; inutile d’aller les observer de près. La plupart du temps, elles prennent la fuite. Elles font partie de la nature, à nous de bien regarder où on met les pieds et les mains.

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I- Aide pour différencier couleuvre et vipère

1-1 Serpent en mouvement :

A l’approche d’un danger potentiel pour lui, le premier réflexe d’un serpent est de s’éloigner rapidement en rampant pour se faufiler en lieu sûr. On n’a généralement pas trop le temps de l’identifier.

_ Le signe visuel distinctif le plus facilement observable sur un serpent en mouvement peut être dans certains cas la taille : les vipères présentes en Nouvelle-Aquitaine sont des petits serpents ne dépassant pas 90 cm de longueur pour la Vipère aspic et la Vipère péliade (présente que dans la Creuse, la Corrèze et le Limousin), seulement 65 cm environ pour la Vipère de Seoane. Cependant, certaines espèces de couleuvres peuvent être petites quand elles sont jeunes.

_ Un serpent adulte de plus d’un mètre de longueur sera certainement une couleuvre (jusqu’à 150 cm pour la Couleuvre helvétique, 170 cm pour la Couleuvre verte et jaune, 180 cm pour la Couleuvre d’Esculape). Les femelles sont plus grandes que les mâles. Cependant, la Couleuvre vipérine ne dépasse pas 100 cm, 95 cm pour la Coronelle girondine et 80 cm pour la Coronelle lisse.

_ La Couleuvre vipérine est l’espèce de serpent la plus aquatique et ne sort de l’eau que pour prendre un bain de soleil ; elle est présente dans une grande partie des cours d’eau de Nouvelle-Aquitaine et ressemble à la Vipère aspic avec souvent un zigzag sur le dos ; cependant, la Vipère aspic ne fréquente pas le milieu aquatique.

Ces deux espèces présentent une grande variété de motifs et de couleurs, allant jusqu’à l’absence de zigzag.

_ Hors milieu aquatique, si le serpent est fortement marqué sur le dos de zébrures, de losanges qui se suivent ou de barres en quinconce, il y a de fortes chances que ce soit une vipère MAIS cela ne doit pas être le seul critère.

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1-2 Serpent au repos :

C’est la situation idéale pour lever un quelconque doute quant à l’identification de la famille. La priorité absolue est la discrétion pour ne pas faire fuir l’animal qui s’expose au soleil. Les critères infaillibles sont regroupés sur la tête :

_ Vipère : pupilles verticales, petites écailles céphaliques sur la tête, 2 à 3 rangées d’écailles (bande noire soulignée d’un trait clair blanc ou crème) entre l’œil et les écailles labiales, museau retroussé. La tête de forme triangulaire n’est pas un critère déterminant.

_ Couleuvre : pupilles rondes, grandes écailles céphaliques sur la tête, pas d’écailles entre l’œil et les écailles labiales, museau arrondi.

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II- Les vipères dans les Pyrénées-Atlantiques

Dans le département des Pyrénées-Atlantiques on peut rencontrer, en plaine et en montagne (altitude maximum variable selon l’espèce) :

_ la Vipère aspic (Vipera aspis), que j’ai pu aussi récemment apercevoir dans les Pyrénées alors qu’elle fuyait, en Aragon à proximité du lac de Respumoso situé à 2 100 m d’altitude ; dans les Hautes-Pyrénées, elle atteindrait même 2 900 m d’altitude.

_ la Vipère de Seoane ou Vipère des Pyrénées (Vipera Seoanei).

La vipère de Seoane a une répartition très restreinte. Elle est présente le long de la frontière avec l’Espagne depuis la côte, au sud de Saint-Jean-de-Luz où elle est devenue très rare, jusqu’au massif d’Iraty où elle atteint sa limite Est, en passant par la vallée des Aldudes. Elle atteint côté français l’altitude maximale de 1 250 m. C’est une des espèces les plus menacées d’extinction en Europe.

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Le nez retroussé de la Vipère aspic.

Le critère déterminant pour différencier ces deux espèces dans la zone restreinte où elles peuvent être présentes simultanément est la forme du bout du museau nettement retroussé chez la Vipère aspic, peu retroussé chez la Vipère de Séoane.

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III- La Vipère aspic dans les Pyrénées-Atlantiques

C’est maintenant que les choses deviennent plus compliquées. Chez la Vipère aspic, aucun individu ne ressemble à un autre. C’est l’un des serpents au monde dont la robe est la plus variable. Chaque individu est unique. Cependant, certains animaux vivant dans un certain type d’habitat ou de climat ont parfois des motifs proches, plus ou moins sombres et dessinés. On peut aussi trouver des formes mélaniques (pigment foncé qui colore la peau), des albinos ou des animaux d’une couleur uniforme avec des nuances tonales.

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Elle comporte plusieurs sous-espèces qui ont fait l’objet de nombreuses discutions par le passé ; le sujet n’est probablement pas définitivement clôturé. Deux sous-espèces sont susceptibles d’être présentes sur le lieu de mon observation dans les Pyrénées-Atlantiques ; heureusement, on peut visuellement les différencier :

3-1 La Vipère aspic Vipera aspis aspis

C’est la sous-espèce présente aussi sur la majorité du territoire français. Elle aime les zones plutôt sèches et chaudes (pelouses et coteaux secs).

3-2 La Vipère aspic Vipera aspis zinnikeri

Elle occupe la chaîne pyrénéenne sur ses versants français et espagnols, ainsi que la grande plaine du Sud-Ouest. C’est elle que l’on a le plus de chances de rencontrer chez nous en randonnant en altitude. Elle préfère les zones humides et fraîches. On la rencontre sur les talus végétalisés, le long de vieux murets en pierre, dans la végétation buissonnante, souvent à proximité de l’eau. Elle est plus rare en plaine, où on peut essentiellement l’observer dans des écosystèmes anciens non bouleversés par l’homme ou par les éléments.

Elle est de taille plus réduite avec une tête plus petite, des écailles céphaliques moins fragmentées et un nez moins retroussé ; son venin est incolore, jaune pour la précédente et apparemment plus toxique. Ces critères ne sont utilisables que par un spécialiste.

Cependant, la robe est caractérisée par la présence d’une bande dorsale large et plus claire que les tâches noires en forme de zig-zag qui l’entourent.

Les spécialistes la situe morphologiquement entre la sous-espèce V.a. aspis et la Vipère de Seoane (Vipera Seoanei). Le critère du nez retroussé devient alors difficile à interpréter.

3-3 Que serait donc mon spécimen photographié?

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Vipera aspis aspis.

Cette vipère profitait d’une accalmie météo à 14h30 en bordure d’un sentier sur le versant exposé au sud à 600 m d’altitude, bien végétalisé et gardé en l’état depuis déjà un certain temps. Le nez retroussé et l’absence de la bande dorsale me permettent d’affiner sont identification et me font pencher pour Vipera aspis aspis.

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IV- Quelques informations à connaître sur la Vipère aspic

Elle est pratiquement sourde. Cependant, elle ressent très bien (comme toutes les espèces de serpents) les vibrations du sol et utilise sa langue bifide comme moyen de prospection. L’organe de Jacobson, situé en avant de la bouche, est un centre d’analyse des odeurs recueillies par cette langue.

La rétine des serpents comporte des cellules visuelles que l’on catégorise en cônes et en bâtonnets. La Couleuvre helvétique (Natrix helvetica), par exemple, a une rétine qui ne comporte que des cônes, cellules assurant la vision colorée et fonctionnant en lumière intense.

La présence de bâtonnets assure une vision crépusculaire. Chez les vipères d’Europe, plus diurnes que crépusculaires, la pupille est fendue (verticalement contractée) et la rétine comporte à la fois des bâtonnets et des cônes.

Dans une situation de trop grande chaleur, la particularité de sa rétine procure alors à la Vipère aspic une vision nocturne suffisante pour chasser la nuit. De jour, sa vision est moins bonne que celle d’une couleuvre ; elle n’aura pas une évaluation visuelle précise du danger potentiel qui approche ; elle captera essentiellement des variations de lumière (une ombre qui approche) ainsi que les mouvements brusques. Elle est généralement peu agressive mais surprise ou acculée, elle va se défendre! C’est ce qui peut arriver quand notre compagnon à quatre pattes sans expérience se montre trop pressant auprès d’elle. Il est fortement conseillé de garder une distance de sécurité d’au moins 1m50. La plupart du temps, son mimétisme et son immobilisme sont ses meilleurs moyens de défense ; elle préfèrera s’éclipser à la moindre alerte.

Elle peut durant de longues heures se chauffer au soleil sans bouger notamment quand elle digère, la chaleur accélérant le processus. Ce n’est pas un animal très actif et en cas de forte chaleur, elle est le plus souvent invisible, dissimulée sous un abri. Elle est active de mars à octobre.

Elle est très utile dans l’écosystème ; elle se nourrit de petits mammifères, rongeurs (souris, mulots, campagnols, musaraignes) et reptiles (lézards…) surtout, qu’elle tue avant de les ingérer. Elle les mord et leur inocule du venin grâce à ses deux crochets mobiles situés en avant et alimentés par une glande situé en arrière de la bouche. Elle peut aussi s’intéresser parfois à de petits oiseaux. Elle ne s’attaque qu’à des proies vivantes, afin que le venin se diffuse par la circulation sanguine. Il agit sur les systèmes nerveux, musculaire et sanguin et sert également à prédigérer les proies.

Ses principaux ennemis (à part l’homme) sont certains rapaces (Buse variable), les corvidés, le Hérisson, le chat de la maison et … les poules, etc. En montagne, le Circaète Jean-le-Blanc qui se nourrit exclusivement de serpents ne fait pas spécialement partie de ses prédateurs. Il préfère généralement les grandes couleuvres, la Couleuvre helvétique et la Couleuvre d’Esculape.

circaète jean le blanc serpent

En vallée d’Ossau – Circaète-Jean-le-Blanc transportant un serpent vivant dans son bec, qu’il vient de capturer dans un pierrier.

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V- La reproduction de la Vipère aspic

Elle est ovovivipare, c’est-à-dire que les œufs sont conservés à l’intérieur du corps et que leur éclosion a lieu au moment de la mise bas. Cette particularité est liée au fait qu’elle s’est adaptée au fil de son évolution à des conditions climatiques montagnardes difficiles ; si les œufs étaient pondus, ils n’arriveraient pas à maturité, faute de chaleur.

Le cycle sexuel des mâles est annuel et celui des femelles est plus variable ; elle ne met pas systématiquement de petits au monde chaque année ; cela est fonction de la reconstitution des graisses nutritives après la précédente mise-bas. La maturité sexuelle des mâles a lieu vers 3-4 ans, 5-6 ans chez les femelles. La longévité de l’espèce est supérieure à 20 ans.

L’accouplement a lieu au printemps à la sortie de l’hivernage, en mars/avril ; une période secondaire existe parfois à l’automne. La durée de la gestation est variable en fonction de la température qui détermine la vitesse du développement des embryons, deux à quatre mois environ et parfois plus selon les conditions climatiques. Les naissances auront lieu plus tôt en plaine qu’en montagne. La femelle donne naissance jusqu’à une douzaine de petits, le plus souvent aux mois d’août et septembre. Les petits vipéreaux, longs d’une quinzaine à une vingtaine de centimètres, sont autonomes dès leur naissance et sont pourvus de venin. Ils se nourrissent essentiellement de jeunes lézards. La mauvaise saison approche et ils vont rapidement hiverner sans s’être pour certains nourris. L’hivernage des vipères a lieu principalement dans des abris dans le sol (cavités naturelles, terriers de rongeurs), assez profonds pour éviter le gel.

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VI- La Vipère aspic en France

La France englobe la majeure partie de la répartition de l’espèce. Elle a une responsabilité élevée vis à vis de sa conservation.

Depuis l’arrêté de protection des reptiles et amphibiens du 8 janvier 2021 (Article 2) paru au Journal Officiel le 11 février 2021, toutes les espèces de serpents en France sont désormais intégralement protégées par la loi!

Jusqu’alors, une dérogation existait pour la Vipère aspic et la Vipère péliade, pourtant particulièrement menacées, dans l’Article 4 de l’arrêté du 19 novembre 2007 fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés. Sous prétexte qu’elles étaient dangereuses, seule leur mutilation était interdite.

Désormais, un acte volontaire de destruction de vipère est donc punissable jusqu’à 3 ans de prison et 150 000 euros d’amende.

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VII- Les morsures de vipères en France

D’après la Fédération Française de Randonnée, le nombre de morsures de vipères est estimé à 1 000 par an et concernent le plus fréquemment la Vipère péliade au nord de la Loire, la Vipère aspic au sud. Elle se manifeste par deux points distants de 5 à 8 mm (la trace des deux crochets) situés à l’extrémité d’un membre, cheville ou poignet.

Le sujet est sérieux et je n’ai pas toutes les compétences pour faire des recommandations. Je mets donc dans la webographie le lien vers les recommandations de la F.F.R. en cas de morsure que je vous invite à consulter (ou toute autre information sérieuse sur la conduite à tenir que vous pourriez trouver). Vous y trouverez en particulier ce qu’il ne faut surtout plus faire aujourd’hui, contrairement à tout ce que l’on a pu me dire ou me rabâcher à tord par le passé! 

La Presse s’est faite l’écho ce mois d’août 2024 d’une intervention du SMUR en vallée d’Aspe pour une morsure au thorax chez un homme assoupi proche d’un cours d’eau (choc anaphylactique) ; une autre intervention des pompiers et du SAMU en Ariège nécessitant une hospitalisation chez un enfant de 10 ans mordu à la main alors qu’il prospectait dans un petit ruisseau de montagne.

Bien qu’une vipère apprécie plutôt un lieu sec et ensoleillé, on peut aussi la rencontrer au bord d’un ruisseau ou d’un plan d’eau.

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VIII- Webographie

_ Guide de poche des serpents de Nouvelle Aquitaine : https://ra-na.fr/atlas/static/custom/documents/PocheSerpents.pdf

_ Guide des Amphibiens et Reptiles d’Aquitaine – Edition 2015 : https://www.cistude.org/images/Documents/PDF/GuideAR-web.pdf

_ Matthieu Berroneau – La Vipère de Seoane Vipera seoanei – the Seoane viper : http://www.matthieu-berroneau.fr/la-vipere-de-seoane-vipera-seoanei-the-seoane-viper/

_ Fédération Française de la Randonnée – Que faire en cas de morsure de vipère? : https://www.ffrandonnee.fr/s-informer/sante/que-faire-en-cas-de-morsure-de-vipere

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Cette publication pourra ultérieurement être agrémentée d’autres photos, au gré de mes rencontres. Mes publications sont mises à jour avec l’évolution de mes connaissances.

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