Le genre d’ambiance qui reste gravée dans mes pensées.
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Nous sommes le 8 octobre et ce soir, je le sais déjà : c’est la dernière fois que je viens observer le brame sur cette place. De nouvelles chutes de neige sont annoncées et après, il sera trop tard ; les mâles auront terminé leur mission annuelle et le calme régnera de nouveau en montagne, jusqu’au rut de l’isard et … des bouquetins ibériques. C’est dommage, j’aurais bien aimé assister à l’ambiance « fin de brame ».
La montagne prend progressivement les couleurs de l’automne et la soirée devrait être belle. La neige a disparu sur les pentes. J’ai acquis une bonne connaissance des habitudes de mes « bestiaux » et je sais déjà où me poster à l’affût, sans les déranger.
Je suis seul et je ne verrai personne d’autre. Assis dans une pente au milieu des myrtilliers et le dos calé contre un rocher, le téléobjectif posé sur mes genoux repliés en guise de trépied et bien camouflé, j’attends patiemment. Il n’y a que pour le brame que je pratique vraiment l’affut.
Quelques minutes plus tard, une biche montre déjà son museau alors que je pensais être en avance. C’est bon signe.
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I- La suite en photos de la fréquentation de la place de brame
Une première biche apparaît sur la crête. Après avoir observée les environs, elle se met à brouter. Un cerf surgit à son tour derrière elle. C’est un « Dix cors » à fourches avec un seul surandouiller, que je n’ai jamais observé. La fourche de son bois sans surandouiller a une troisième pointe, mais elle est trop réduite pour pouvoir parler d’empaumure.
Surexcité, il a labouré la végétation à grands coups d’andouillers et ses bois sont chargés de branchages.
Les effluves dégagées par la biche l’intéresse au plus haut point.
Il l’implore mais celle-ci reste indifférente à ses avances. C’est toujours surprenant de voir comme elles peuvent rester placides face aux avances pressentes des mâles.
C’est un joli mâle, qui a déjà manifestement constitué son harem. Il est le maître!
Il brame, …
…, brame à qui veut l’entendre mais la biche est insensible à ses avances. La période de fécondité des biches ne dure pas très longtemps, entre 24 et 48h environ. Quant au cerf, il peut s’accoupler pendant bien plus longtemps, 3 à 4 semaines. Heureusement, les biches n’ont pas toutes leurs chaleurs en même temps et elles peuvent être couvertes plusieurs fois avant d’être fécondées.
Je viens de comprendre pourquoi il brame aussi derrière lui. Suivons donc son regard : un jeune mâle vient d’apparaître sur la crête, qui ressemble ce soir à un chapeau de magicien d’où sortent des cerfs. Il poursuit cette biche, qui a déjà subi les ardeurs d’un mâle : son oreille droite est en partie déchirée.
C’est un « Six cors » aux bois bien réguliers. Il doit être sur sa troisième année : en effet il n’a pas de surandouillers, qui apparaissent au-delà des trois ans. Cela ne l’empêche pas d’être lui aussi excité et de vouloir participer.
La biche rejoint le reste de la harde, toujours poursuivie par le jeune « six cors ». Il marque alors un arrêt!
Le « Dix cors » à fourches (en haut à gauche) défend son harem en se lançant à sa poursuite (en bas à droite).
Le « Six cors » (en bas au centre) se refugie en contrebas dans la végétation.
Le « Dix cors » à fourches regroupe ses biches et les éloigne du jeune mâle.
Penaud, le « six Cors » remonte derrière la crête, …
…, tandis que le « Dix cors » reste jalousement avec ses biches.
Mais ce n’est pas fini! Le « Six cors » ressurgit rapidement, à la poursuite d’une autre biche accompagnée de son faon. La biche va rejoindre la harde gardée par le « Dix cors ».
Il ne va pas plus loin ; il sait qu’il ne fait pas le poids! Encore une occasion ratée!
Et ce n’est toujours pas fini! Une minute trente plus tard, un deuxième « Six cors » apparaît timidement sur la crête (le troisième cerf de la soirée). Ses bois sont moins réguliers que ceux du précédent et il est aussi moins corpulent. Trop jeune, il ne jouera aucun rôle dans cette soirée mouvementée.
Il descend lui aussi dans la pente, le nez au sol, et s’approche de la harde (une biche est en contrebas devant lui). Il n’osera rien faire.
Vingt-cinq minutes plus tard, c’est au tour d’un joli « Huit cors » sans surandouillers de sortir du chapeau du magicien, le nez au sol et reniflant sur le passage des précédentes biches, comme ses prédécesseurs. Son trophée est bien régulier! C’est le quatrième cerf de la soirée, au même endroit!
Que va-t-il faire? Il observe, prend la température et reprend sa quête, le nez au sol.
Au bout d’un moment, je le perds dans la végétation.
Je fouille alors les flancs de la montagne aux jumelles et je vais m’attarder auprès de cette biche accompagnée de son faon. Ils n’auront jamais la tête en l’air en même temps. Normalement, il y a aussi un mâle dans ce secteur : je ne le verrai pas de la saison.
Je retourne avec mes jumelles vers mon chapeau de magicien et, … il y a du nouveau : les deux cerfs qui peuvent entrer en concurrence pour couvrir les biches se sont trouvés! En haut, le « Huit cors » et en bas, le « Dix cors ».
En haut, çà brame! En bas, on observe, immobile!
Mais pourquoi çà brame?
Sur le promontoire, une biche fait la belle devant mes deux protagonistes.
Tu y vas? J’y vais? Qui va la courtiser? Le « Dix cors » ne bronche pas du tout. Il attend peut-être un faux pas de son adversaire potentiel. Ils sont à peu près de la même corpulence mais je devine que le « Dix cors » est plus vieux et plus expérimenté. Pour information et au-delà de la troisième année, le nombre de cors n’est pas lié à l’âge.
Un face à face de plusieurs minutes, où il ne se passera rien.
Quelque chose que je ne peux pas voir semble les intriguer sur la crête. Le « Huit cors » va finalement se décider, part à la poursuite de la biche et la fait redescendre du promontoire.
Le faon rejoint sa mère mais quelque chose les intrigue toujours. Il faut se rappeler qu’il y a encore deux « Six cors » dans les environs de la harde des biches mais je ne les vois pas. Que fabriquent-ils?
Finalement, il n’y aura ni combat, ni provocation. La biche et son faon repartent derrière la crête et le « Huit cors » leur emboîte le pas, empressé! Quand au « Dix corps », il est toujours resté impassible tout en étant sur ses gardes. En fait, il protégeait ses biches que l’on aperçoit en contrebas. On est vers la fin du brame et les velléités pour se battre s’émoussent ; les guerriers sont fatigués.
Le « Dix cors » s’occupe à nouveau de ce qui se passe chez lui.
Il était temps. Le joli « Six cors » bien régulier s’était approché des biches laissées sans surveillance ; leur gardien était pris ailleurs.
Il éloigne les biches, …
…, fonce sur le « petit jeune » qui ne demande pas son reste.
Il tente de faire face, …
…, mais sans insister.
Les biches se sont éloignées en contrebas. Le « Dix cors » les rejoint à l’odeur, …
…,
…, et les retrouve.
Il les implore, tout en signalant sa présence.
Serait-ce enfin le bon moment?
« Voyeur », semble-t-il me dire! Ce soir, je n’assisterai pas à l’accouplement : ils vont disparaître dans la végétation.
La nuit approche.
Alors que la lumière s’atténue de plus en plus vite, quelque chose a bougé à la lisière de la forêt. Mince! Cela tombe mal pour moi. Habituellement, « elles » ne sont pas à cet endroit et me barrent le chemin du retour.
Des biches sortent lentement du bois.
Elles s’avancent tranquillement dans ma direction.
Elles s’alignent tranquillement devant moi! Je suis aux limites de mon matériel photo et je ne pourrai bientôt plus rien faire. J’attends le mâle, en vain. Il ne se manifestera pas ; le bois est silencieux. Peut-être est-il déjà reparti après avoir couvert ses biches.
Il s’est passé deux heures cinquante entre la première et la dernière photo de cette publication. Je dois rentrer maintenant, il fait déjà sombre. Je vais devoir faire un détour pour m’éloigner en toute discrétion. Une fois revenu sur le sentier, je refais le rangement de mon matériel photo dans le sac à dos, récupère la frontale en espérant ne pas avoir à m’en servir et je déplie mes bâtons de randonnée : ce n’est plus le moment de glisser dans la descente. Le retour se passera sans encombre et … sans éclairage.
Qu’est-ce qui fait courir les cerfs? Ce que cache cette crête prolifique en cerfs m’intrigue et j’aimerais bien le découvrir. Il est encore trop tôt pour le moment, mais je le saurai effectivement un jour.
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II- Un petit bilan sur cette place de brame
Le 10 septembre dernier, les biches étaient présentes et les cerfs n’étaient pas encore arrivés. Le 30 septembre, il y a neuf jours, j’ai observé un « Douze cors » mal semé maître de la place depuis plusieurs années et un jeune « Dix cors » à empaumures au joli trophée bien équilibré. Ce soir, ces deux-là étaient absents et remplacés par un « Dix cors » à fourches nouveau maître de la place, un beau « Huit cors » prometteur qui avait manifestement ses chances, un « Six cors » au joli trophée régulier et un autre « Six cors », le plus jeune de tous (moins de trois ans) et inexpérimenté. Cela fait en tout six cerfs au même endroit. Les vieux cerfs, fatigués, ont généralement du mal à protéger leurs biches contre les appétits des jeunes prétendants. Tout peut arriver à ceux qui savent patienter et osent en fin de période.
A l’année prochaine? Peut-être. Ce qui me motive avant tout, c’est le plaisir de découvrir que les cerfs que je connais ont répondu à l’appel impérieux du renouvellement de leur espèce, qu’il ne leur est rien arrivé de fâcheux depuis le dernier Temps du Brame.
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