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La tourbière de Pédestarrès à Louvie-Juzon

Panneau pédagogique fourni par le Parc National des Pyrénées.

Extrait d’un panneau pédagogique présent sur le site, fourni par le Parc National des Pyrénées.

Une Droséra, plante carnivore

Une feuille de Droséra, plante carnivore bien présente dans la tourbière.

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I- Présentation de la tourbière de Pédestarrès ou Tourbière de l’Auga

La tourbière de Pédestarrès, appelée aussi Tourbière de l’Auga, est l’une des rares tourbières bombées des Pyrénées. Elle est localisée entre les communes de Louvie-Juzon et de Sainte-Colome, dans les Pyrénées-Atlantiques. Elle a une histoire et des richesses à dévoiler. Cette histoire a fait l’objet de nombreuses publications dans des revues scientifiques au niveau national et même international, comme « relique inestimable et rarissime ». Elle restitue par exemple (en partie) l’histoire du glacier d’Ossau pendant sa phase de retrait (bien que celui-ci n’ait pas recouvert le site, arrêté par un verrou rocheux) mais aussi bien d’autres informations scientifiques de première importance lors de campagnes de carottage de la tourbe. On y apprend également que l’Homme arrive sur ces lieux il y a 4 800 ans.

ancienne tourbière exploitée pédestarrès

Ancienne tourbière principale du site, aujourd’hui ennoyée.

Ce site est en fait composé d’une tourbière principale (qui a été exploitée), propriété de la commune de Louvie-Juzon et de trois petites tourbières annexes (seulement drainées), interrompues par des prairies humides et des boisements. Elles sont bien distinctes et à des stades d’évolution différents. Le Conseil général a acquis en 2005 une de ces trois tourbières annexes interdite d’accès depuis, en raison de sa politique de gestion d’espaces naturels sensibles (ENS).

tourbière annexe pédestarrès

L’une des tourbières annexes, non exploitée.

Ces tourbières ont été pendant très longtemps utilisées comme lieu de pâturage, ce qui leur a permis d’éviter leur fermeture naturelle. Après la Première Guerre Mondiale, l’administration cherche à développer l’exploitation des tourbières pyrénéennes comme une ressource potentielle de combustible. Commence alors le début de l’exploitation de la tourbière principale, où la tourbe est utilisée comme moyen de chauffage notamment pour les bâtiments publics du village.

En 1979, une société des environs en obtient la concession pour une exploitation industrielle. L’extraction intensive de la tourbe débute en 1991 après l’assèchement de la tourbière par des drains. Enrichie en matière organique, cette tourbe de qualité est ensuite commercialisée comme terreau pour les cultures en pépinière et horticoles. En 2001, cette concession n’est pas renouvelée et l’exploitation est définitivement arrêtée en 2003 par arrêté préfectoral. La pression avait été mise dès le début par les associations locales environnementales et les scientifiques pour faire cesser cette exploitation.

A partir de 2008 un projet commence à voir le jour, avec pour objectif la restauration écologique du site et sa valorisation par la commune. Dès 2011, les jeunes habitants sont impliqués au sein de chantiers de restauration.

Panneau pédagogique fourni par le Parc National des Pyrénées.

Coupe schématique d’une tourbière – Panneau pédagogique sur le site, fourni par le Parc National des Pyrénées (extrait).

Cette démarche s’inscrit dans la nécessité de conserver et de valoriser ce patrimoine naturel, véritable bibliothèque à ciel ouvert où se cumulent 11 000 ans de l’histoire du piémont pyrénéen, emprisonnés sur plus de 7 mètres d’épaisseur de tourbe par endroits. Au cours du XXème siècle, on a constaté la disparition de près de 50% de la superficie des tourbières en France. Une prise de conscience progressive de l’intérêt scientifique, écologique et patrimonial de celles-ci a permis une nouvelle gestion de ces milieux uniques.

La Mairie de Louvie-Juzon a fait le choix de faire connaître ce site au grand public en accès libre. Le village se situe dans l’aire d’adhésion du Parc national des Pyrénées, qui est un des partenaires du projet : celui-ci a mis en place des panneaux pédagogiques, dont certains sont restitués en photos dans cette publication.

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II- La formation d’une tourbière

Cet écosystème se caractérise, en premier lieu, par un sol saturé en permanence d’une eau stagnante ou très peu mobile privant de l’oxygène nécessaire à leur métabolisme les micro-organismes (bactéries et champignons) responsables de la décomposition et du recyclage de la matière organique. Dans ces conditions asphyxiantes, la litière végétale ne se minéralise que très lentement et très partiellement. Elle s’accumule alors, progressivement, formant un dépôt de matière organique mal ou non décomposée : la tourbe.​

Véritable roche végétale fossile, la tourbe est donc un sol organique issu de la dégradation incomplète de débris végétaux dans un milieu saturé en eau. Elle contient au moins 20 % de carbone et peut s’accumuler sur plusieurs mètres d’épaisseur, au rythme moyen de 0,2 à 1 mm par an. C’est un matériau combustible.

La plupart des tourbières s’étant formées après le retrait de la dernière glaciation (glaciation du Würm, il y a environ 12 000 ans), les dépôts de tourbe généralement observés ont une épaisseur comprise entre 50 cm et 5 à 10 m.

Sphaignes de la tourbière.

Sphaignes de la tourbière.

Les végétaux édificateurs de la tourbe sont essentiellement des bryophytes hygrophiles comme les sphaignes ou les mousses, des plantes sans fleurs n’ayant ni racines, ni tissus spécialisés pour la conduction de la sève.

Une tourbière est active tant que se poursuivent les processus d’élaboration et d’accumulation de la tourbe à partir de ces végétaux. Si ces processus cessent, la tourbière devient inactive… mais est parfois susceptible de se régénérer.

Selon la nature des végétaux dont elles sont issues, les tourbes présentent des caractéristiques bien marquées. Les tourbes blondes issues de la transformation des sphaignes, sont généralement des matériaux à faible densité, poreux, acides et riches en fibres de cellulose : c’est le cas de la tourbe de Louvie-Juzon. La tourbe blonde formée de sphaignes est celle qui est principalement utilisée en horticulture. Celle-ci possède de nombreuses propriétés physico-chimiques qui améliorent la structure, la capacité de rétention d’eau, l’aération et le pouvoir tampon des sols.

Les tourbes brunes ou noires sont issues de la décomposition plus avancée de grands hélophytes (plantes palustres qui vivent dans la vase mais dont les feuilles sont au-dessus de la ligne de flottaison). Ce sont des matériaux compacts, humifiés, contenant moins de fibres et dont la structure est plastique. Il existe des tourbes aux caractéristiques intermédiaires.

Panneau pédagogique fourni par le Parc National des Pyrénées.

Sphaignes et Droséra – Extrait d’un panneau pédagogique sur le site, fourni par le Parc National des Pyrénées.

Les tourbières jouent un rôle écologique important. La tourbe a la capacité d’être une réserve d’eau. Comme une éponge, elle peut stocker d’importantes quantités d’eau qui seront restituées à la saison sèche. La tourbière se révèle donc un écosystème primordial dans la régulation du débit des cours d’eau.

Les tourbières sont aussi des réserves de biodiversité. Les conditions de vie (peu d’oxygène, beaucoup d’acidité) y sont très difficiles pour la faune et la flore. Aussi, on y trouve des espèces spécifiques à ces milieux hostiles : plantes carnivores (droséras), sphaignes, lézard vivipare, insectes, libellules et toute une faune de batraciens. Ces végétaux et animaux forment un groupe biologique particulier qui évolue dans un écosystème dont les buttes de sphaignes en sont les éléments les plus remarquables.

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III- Quelques photos des hôtes de la tourbière de Pédestarrès 

3-1 Quelques plantes remarquables

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14 août – La Gentiane pneumonanthe ou Gentiane des marais, au début de sa floraison.

La Gentiane pneumonanthe (Gentiana pneumonanthe) se reconnaît aisément à sa grande taille, ses grandes fleurs à corolles bleu profond en forme de cloche, à stries rayées de vert à l’extérieur et ponctuées de petites taches circulaires blanches à l’intérieur. On la rencontre dans les landes humides plus ou moins tourbeuses et ici, elle est en pleine floraison fin août. On l’aurait utilisée jadis en certains endroits pour traiter les maladies du poumon : cette origine de son nom reste contestée.

Elle est protégée dans certaines régions mais pas sur l’ensemble du territoire métropolitain. Elle fait partie de la liste des espèces protégées dans l’Arrêté du 08/03/02 relatif à la liste des espèces végétales protégées en région Aquitaine complétant la liste nationale (Article 2 – Phanérogames angiospermes Dicotylédones).

gentiane pneumonanthe 02

31 août – La Gentiane pneumonanthe est en pleine floraison. Ici, une inflorescence à quatre stades différents de floraison.

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Mise au point sur un capelle,

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Mise au point sur l’autre capelle.

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L’intérieur de la corolle.

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Une vue légèrement différente de la corolle de la même fleur.

La Gentiane pneumonanthe est la plante-hôte d’un petit papillon discret et protégé au niveau national, l’Azuré des Mouillères ou Protée (Maculinea alcon alcon ou Phengaris alcon alcon). C’est une espèce très sédentaire qui se rencontre dans les zones humides de plaine ou de moyenne montagne.

Outre sa plante-hôte, ce papillon a besoin d’une fourmi-hôte pour terminer son développement larvaire. L’espèce de fourmi-hôte est du genre Myrmica, souvent appelées fourmis rouges et dont certaines sont connues pour élever les chenilles des papillons du genre Phengaris. La colonie de fourmis va élever la chenille au sein de la fourmilière jusqu’à ce qu’elle termine sa nymphose.

La femelle de l’Azuré pond au niveau des inflorescences de la Gentiane pneumonanthe. Les œufs sont pondus isolément ou en petits groupes sur les corolles fermées et le dessus des feuilles terminales parmi les Gentianes dépassant de la végétation environnante. Une dizaine de jours après la ponte, la chenille sort de l’œuf pour se nourrir directement à l’intérieur de la Gentiane. Les premiers stades larvaires se déroulent à ce niveau-là, pendant deux à trois semaines. La larve se nourrit des carpelles, constituées du stigmate, du style et de l’ovaire de la fleur.

Au dernier stade, de la taille d’une larve de fourmi, la chenille se laisse choir à terre où elle est incapable de se nourrir ; elle y attend sagement le passage d’une fourmi particulière. La présence d’une fourmilière de Myrmica dans un petit rayon autour de la plante, 2 à 3 mètres environ, est primordiale pour la suite de son développement larvaire. Si une ouvrière passe par là, elle pense avoir affaire à une larve de fourmi égarée ; elle la saisit avec les mandibules et la ramène au bercail au milieu des autres larves. Toutes les Myrmica d’un site ne peuvent pas jouer ce rôle d’hôte. La chenille mourra si elle ramassée par une autre espèce de Myrmica que son hôte attitré, principalement Myrmica scabrinodis. Elle mourra tout aussi sûrement si elle n’est pas ramassée.

La Nature est surprenante : cette chenille est dite myrmécophile, c’est-à-dire qu’elle sécrète une substance inhibant l’agressivité des fourmis. Elle émet des phéromones qui imitent l’odeur des Myrmica. Elle serait soi-disant aussi capable d’imiter les sons produits par leurs larves. Tout cela lui permet de se faire prendre en charge dans la fourmilière sous la protection de ses hôtes. Elle y sera alimentée par les ouvrières via la bouche par régurgitation (trophallaxie), au détriment de leurs propres larves pendant tout l’hiver et le printemps, tout en continuant à émettre ses phéromones d’imitation. Le développement larvaire de l’Azuré se termine ainsi dans la fourmilière.

Au moment voulu, la chenille va se transformer en chrysalide, toujours protégée et abritée. Puis vient le moment critique où le papillon est prêt à sortir de son cocon : il n’est plus protégé par ses phéromones et devient un ennemi envahisseur! Il doit s’extirper de la fourmilière au plus vite, avant de déployer ses ailes au grand jour. Ce moment coincide avec la floraison de sa plante-hôte et le cycle recommence (voir la vidéo BBC dont j’ai mis le lien en fin de publication).

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Une Droséra, plante carnivore

Les droséras sont très nombreuses sur ce site.

Les droséras (du grec ancien signifiant « couvert de rosée », drosos étant la rosée) ou rossolis (du latin ros solis, « la rosée du soleil » ) sont de petites plantes, typiques des tourbières à sphaignes et elles sont protégées (Annexe II – Dicotylédones – Arrêté du 20 janvier 1982 fixant la liste des espèces végétales protégées sur l’ensemble du territoire métropolitain).

Il en existe trois espèces en Europe, présentes en France : la Drosera anglica Hudson ou Rossolis à feuilles longues, la Drosera intermedia Hayne ou Rossolis intermédiaire et la Drosera rotundifolia L ou Rossolis à feuilles rondes. Sur le site de Pédestarrès, seules ces deux dernières espèces sont représentées. 

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31 août – La Drosera rotundifolia L ou Rossolis à feuilles rondes, plus petite et discrète que la seconde espèce. 

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31 août – La Drosera intermedia Hayne ou Rossolis intermédiaire, avec ses feuilles en forme de spatule.

Pour aider à les différencier aisément, les feuilles de la Rossolis à feuilles rondes (la moins répandue en France et sur Pédestarrès) sont appliquées contre le sol ; les deux autres espèces ont les feuilles allongées et plus ou moins dressées. Les feuilles de la Rossolis à feuilles longues (absente sur le site) sont … bien plus longues que celles de la Rossolis intermédiaire, on ne peut se tromper.

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Tout à droite, une abeille capturée par une Rossolis intermédiaire.

La plante est carnivore ou plutôt insectivore ; pour compléter son alimentation sur un sol pauvre en minéraux et assurer sa survie, elle capture et digère de petites proies. Ce sont généralement des insectes comme des mouches, des fourmis, etc.

L’insecte est attiré par les gouttelettes transparentes et gluantes ressemblant à de la rosée qui constituent le mucilage, situé à l’extrémité des tentacules des feuilles.

Pris au piège en s’y collant, il commence à se débattre pour se libérer et s’englue de plus en plus au contact des tentacules voisines. Les tentacules à la périphérie se replient sur le limbe. Elles mettent la proie prisonnière au contact de glandes digestives.

Au terme de la digestion des parties molles effectuée par la sécrétion d’enzymes, il ne restera plus de l’insecte que sa carapace. La feuille se remet en position pour attirer la proie suivante.

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15 juin – Une larve de sauterelle (espèce à confirmer), au début de son engluement. Sous la fleur en bouton, on devine ce qui reste de la carapace d’un insecte englué.

Une Droséra, plante carnivore

15 juin – Sur la même Drosera intermedia, les tentacules d’une feuille (en bas vers la gauche) se sont repliées sur leur proie. 

Les droseras fleurissent en été. Les fleurs en grappes unilatérales sont de couleur blanche ou rose clair.

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31 août – Drosera intermedia à différents stades de la floraison.

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Une Drosera intermedia dont certaines feuilles sont fanées de l’an dernier et sphaignes.

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Drosera intermedia, vue du dessus.

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Bruyère à quatre angles

15 juin – Une Bruyère à quatre angles.

La Bruyère à quatre angles (Erica tetralix) est une bruyère des milieux humides et acides, aux fleurs roses. Elle est appelée ainsi car les feuilles (que l’on devine à la base) forment quatre angles bien réguliers.

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La Narthécie des marais

15 juin – La Narthécie des marais.

La Narthécie des marais (Narthecium ossifragum) est une plante très élégante qui pousse dans les tourbières à sphaignes. Elle est appelée aussi Narthécie brise-os ou Narthécie ossifrage. Le nom de « brise-os » provient d’une croyance selon laquelle cette .plante provoquait la fracture des os des troupeaux qui la mangeaient. En réalité, il est fort probable que ces fractures étaient causées par les difficultés d’accès aux endroits où elle croît.

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Elle fait partie de la liste des espèces protégées dans l’Arrêté du 08/03/02 relatif à la liste des espèces végétales protégées en région Aquitaine complétant la liste nationale (Article 1er – Phanérogames angiospermes Monocotylédones).

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3-2 Quelques araignées remarquables

Il est évident que je ne cherche pas à heurter les arachnophobes. Les espèces citées font partie de la biodiversité de la tourbière.

Une Dolomède des marais

15 juin – Une Dolomède des marais. Ici, une femelle avec son cocon.

La Dolomède des marais (Dolomedes fimbriatus) est une araignée pêcheuse ; elle reste normalement à proximité immédiate de l’eau mais elle est également capable de marcher sur l’eau voire de plonger. On l’appelle parfois l’araignée radeau. Elle attrape principalement les insectes qui habitent les plantes des berges, mais elle peut aussi capturer les têtards, ou même de temps en temps les petits poissons.

Vers la fin du printemps, le mâle parade longuement en bougeant les pattes antérieures devant la femelle jusqu’à qu’elle accepte l’accouplement. Deux à trois semaines après l’accouplement, la femelle pond plus d’un millier d’œufs et tisse des cocons (deux, parfois plus) dans lesquels elle va les entourer. Elle porte les cocons avec elle pendant quelques semaines et les installe dans une toile pouponnière lorsque les jeunes araignées sont prêtes à éclore.

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31 août – Une autre femelle avec son cocon.

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31 août – Une toile pouponnière de Dolomèdes des marais.

Les jeunes araignées restent quelques jours dans la pouponnière, où elles sont attentivement surveillées par leur mère. Elles se dispersent ensuite dans les environs.

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agélène à labyrinthe

Une Agélène à labyrinthe, montant la garde à l’entrée de son tunnel.

L’Agélène à labyrinthe (Agelena labyrinthica) tisse une toile massive et plate en partie basse dans les buissons où elle ne passe pas inaperçue ; c’est un piège redoutable. Elle dispose d’une sorte de tunnel incliné, dont l’entrée a la forme d’un petit entonnoir. Ce cylindre de soie très épais mesure une dizaine de centimètres pour 2-3 cm de diamètre. L’araignée y monte la garde au sommet, prête à bondir au premier piégeage de proie.

Cet espace lui sert de salle de repas et, plus tard, de chambre nuptiale pour la femelle. Un mâle viendra s’y aventurer pour s’accoupler après avoir pris maintes précautions pour ne pas se faire dévorer.

Le fond du tunnel, ouvert vers le sol, est une issue de secours qui lui permet une fuite rapide vers les herbes supportant la toile. C’est une sorte de toboggan dont l’issue est camouflée à la fois par la toile épaisse mais aussi par l’enchevêtrement d’herbes et de branches qui la supporte.

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L’Argiope frelon (Argiope bruennichi), appelée aussi Argiope rayée ou Epeire fasciée, est l’une des plus belles espèces d’araignées d’Europe. Elle apprécie les milieux de prairies, bosquets et haies, ensoleillés et moyennement humides, en plaine et jusqu’en moyenne montagne. Elles sont nombreuses sur le site, ce qui est un signe d’excellente santé environnementale.

Elle possède un abdomen rayé noir et jaune qui peut laisser croire qu’elle est toxique ou dangereuse comme les guêpes ou les frelons, cela afin de dissuader ses éventuels prédateurs. Cependant, elle est inoffensive. Le mâle est environ 3 fois plus petit que la femelle et de couleur brunâtre. Il passe presque inaperçu.

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Argiope frelon femelle à l’affût au centre de sa toile, toujours la tête en bas. 

Elle se nourrit principalement d’insectes qu’elle capture dans sa toile tissée assez bas dans la végétation et qui possède souvent des zig-zags bien visibles ponctuellement constitués de soie épaisse, qu’on appelle un « stabilimentum », qui permettent de la stabiliser.

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Le tissage de la toile. La soie sort des filières placées au bout de l’abdomen sous l’aspect d’une pâte aussitôt étirée par les pattes pour former les fils.

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L’Argiope frelon, vue de dessous. Les poils sur les pattes qui sont écartées deux par deux en forme de croix, lui évitent d’adhérer à la toile.

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L’enveloppement d’une proie dans la soie de la toile, après lui avoir inoculé son venin paralysant. 

Elle se nourrit de divers insectes assez gros, papillons, libellules, sauterelles, criquets, guêpes, mouches et autres. La femelle peut être cannibale au moment de l’accouplement : le mâle, bien plus menu, a une technique particulière pour éviter d’être dévoré.

Aux beaux jours succédant à l’hiver, après leur première mue, les jeunes araignées grimpent au sommet d’une brindille et lancent un fil qui les emporte dans les airs pour aller faire leur vie ailleurs.

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3-3 Quelques insectes remarquables

On confond parfois les criquets et les sauterelles :

_ Les criquets possèdent des antennes courtes et épaisses. Ils sont exclusivement herbivores.

_ Les sauterelles possèdent des antennes fines et généralement plus longues que le corps. Elles sont essentiellement omnivores.

Un juvénile de Criquet vert

Un juvénile de Criquet vert.

Le Criquet vert ou Criquet des roseaux (Mecostethus parapleurus) a, comme son nom l’indique, une coloration généralement verte mais certains peuvent être bruns. Les adultes sont d’assez grande taille, avec une fine bande noire longitudinale entre l’arrière de l’œil et la base des élytres. On le trouve dans les roselières en bordure d’étang et les prairies humides ou non. Il vole très bien.

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Le Criquet ensanglanté (Stethophyma grossum) est un joli criquet qui habite exclusivement les marécages, les tourbières et les prairies très humides. Sa coloration est variable entre le vert olive et le brun clair, avec quelque fois des teintes rouge pourpré.

Un Criquet ensanglanté

Un Criquet ensanglanté mâle sur une Droséra.

Il doit son nom aux marques plus ou moins rouges que la femelle peut porter sur le thorax et sur la tête. Ces taches sont plus facilement visibles en fin d’été, mais elles ne sont pas toujours présentes. Je ne l’ai pas encore photographiée à la tourbière.

Un Criquet ensanglanté

Le Criquet ensanglanté mâle jouant à cache-cache.

Chez le mâle, la couleur rouge est située sous les fémurs des pattes postérieures, également ornées de 2 taches noires caractéristiques.

criquet ensanglanté tourbière pédestarrès 4

Dans certaines populations, le mâle est agrémenté de jaune vif et de vert lumineux. Il émet de petits clics audibles jusqu’à une dizaine de mètres, ressemblant au cliquetis émis par un compteur manuel de personnes.

criquet ensanglanté tourbière pédestarrès 3

Les ailes, brunes, sont marquées à la base par une bande jaunâtre et leur longueur permet au mâle de s’envoler à plusieurs mètres lorsqu’il est dérangé. Plus lourde, la femelle, est beaucoup moins apte à de longs vols.

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Le Conocéphale gracieux (Ruspolia nitidula) fait partie de la famille des Sauterelles. Il peut mesurer jusqu’à 6 cm environ, avec les ailes. On l’appelle également la Respolie à tête de cône. La forme particulière de sa tête le distingue au premier regard de la Grande Sauterelle verte (Tettigonia viridissima).

ruspolia gracieux

Un Conocéphale gracieux adulte. 

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Un autre Conocéphale gracieux en cours de mue, sortant de son exuvie.

Habituellement vert clair, certains individus peuvent être bruns. La base des mandibules est tachée de jaune. Les antennes sont un peu plus longues que le corps. Il fréquente la berge des zones humides mais aussi les milieux secs.

Son régime alimentaire se compose de petits insectes et de végétaux. Il est surtout nocturne et le mâle produit une stridulation qui ressemble au bourdonnement d’un poste électrique, de forte intensité, qui peut durer plusieurs minutes sans interruption.

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syrthe porte plume

Le Syrthe porte-plume.

Le Syrthe porte-plume (Sphaerophoria scripta) est un très joli insecte que j’apprécie particulièrement, bon pollinisateur. Je le rencontre régulièrement sur les ombellifères blanches. Il peut réaliser un cycle de vie complet en 16 jours (de l’œuf à l’œuf pondu par un adulte) et jusqu’à 9 générations peuvent apparaître sur un an. La femelle peut pondre 500 à 1 000 œufs. L’abdomen du mâle évoque le dessin d’une plume d’écriture. L’espèce est migratrice.

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Je ne vais pas m’aventurer à identifier les Agrions et Libellules qui suivent car j’ai de fortes chances de faire quelques erreurs.

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Un Agrion jouant à cache-cache.

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Un Agrion avec sa proie, une mouche.

Un site très riche en agrions

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agrion tourbière 04

Un site très riche en agrions

Le site est très riche en agrions, …

libellule tourbière 02

libellule tourbière 01

…, ainsi qu’en libellules.

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3-4 Quelques témoignages de présence d’amphibiens

Des œufs d'Alyte accoucheur.

15 juin – Des œufs d’Alyte accoucheur, témoins de la présence de cette espèce.

J’ai consacré une publication complète à l’Alyte accoucheur (Alytes obstetricans), que l’on peut facilement retrouver dans mes archives à partir de ce mot-clé.

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Une Grenouille rousse

Une Grenouille rousse, dans le sous-bois près de l’une des tourbières non exploitées.

La Grenouille rousse (Rana temporaria) est de couleur très variable mais jamais verte. On peut facilement la confondre avec la Grenouille agile (Rana dalmatina). Je donne des critères pour les différencier dans deux de mes publications, que l’on peut facilement retrouver dans mes archives à partir des mots-clés : La Grenouille Rousse, la Grenouille agile.

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Le Triton palmé (Lissotriton helveticus) mène une vie terrestre dans les lieux humides, à proximité des plans d’eau stagnants et des cours d’eau à courant lent.

triton palmé juvénile

31 août – Triton palmé juvénile.

La femelle adulte est plus colorée que le mâle, aux couleurs ternes. On la reconnait aux deux petits tubercules jaunes ou orangés à la base des pattes arrière.

En phase aquatique au moment de la reproduction, il nage très bien mais a besoin de revenir en surface pour respirer. L’espèce s’accouple dans une pièce d’eau stagnante végétalisée, après une parade nuptiale. La femelle pond un à un plusieurs centaines d’œufs qu’elle accroche l’un après l’autre aux plantes aquatiques et autres supports où ils se développeront en restant cachés.

Courant août, les larves quittent le milieu aquatique après avoir perdu leurs branchies, pour vivre une année entière sur terre avant d’adopter le mode de vie de leurs parents. Le juvénile est magnifique, beige avec une crête dorsale orangée. L’espèce est protégée.

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IV- Autre faune remarquable du site : le lézard vivipare de Lantz

Le Lézard vivipare de Lantz (Zootoca vivipara louislantzy) est uniquement présent en France dans nos Pyrénées, le Pays Basque et le massif landais. Il est exceptionnel. En effet, il est resté ovipare!

Panneau pédagogique fourni par le Parc National des Pyrénées.

Le Lézard vivipare de Lantz – Extrait d’un panneau pédagogique fourni par le Parc National des Pyrénées.

Très lié à l’environnement des tourbières, ce lézard apprécie notamment la présence des sphaignes, ces plantes sans fleurs et sans racines à l’origine de la formation de la tourbe et qui poussent sous la forme de coussinets qui ne cessent de croître.

Lézard vivipare de Lantz.

Un Lézard vivipare de Lantz.

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4-1 Informations sur le Lézard vivipare Zootoca vivipara

Elles me donnent l’occasion de rappeler ce que sont les différents modes de donner la vie que sont l’oviparité et l’ovoviviparité, qui prêtent à confusion chez ce lézard avec la viviparité dont la définition est rappelée un peu plus loin.

Durant les glaciations du Quaternaire, certaines populations chez ce lézard ont évolué de l’oviparité vers l’ovoviviparité. Cette dernière aurait été sélectionnée en raison de l’avantage procuré par la meilleure résistance au froid. Elle permet de coloniser des sites plus froids où des œufs ne se développeraient pas. La population pyrénéenne, elle, n’a pas évolué!

Le Lézard vivipare Zootoca vivipara, très largement distribué aux quatre coins du monde, présente cinq sous-espèces, dont deux que nous trouvons en France :

4-1-1 Zootoca vivipara sous-espèce louislantzi ou Lézard vivipare de Lantz

C’est la sous-espèce qui est présente dans cette tourbière ; contrairement à sa désignation, il est resté ovipare! La Garonne constitue la limite de son extension vers le nord. Ailleurs, on la trouve aussi en Espagne dans les Monts Cantabriques. Les œufs sont conservés dans l’utérus de la mère jusqu’au stade embryonnaire où intervient alors la ponte, constituée de cinq à six œufs en moyenne (jusqu’à dix) qui seront incubés dans le milieu naturel.

4-1-2 Zootoca vivipara sous-espèce vivipara ou Lézard vivipare

Cette sous-espèce est présente dans d’autres régions. En Aquitaine, elle semble présente dans l’extrême nord-est de la Dordogne et probablement en Lot-et-Garonne. Elle est ovovivipare : dans cette modalité, le développement embryonnaire complet se déroule dans un œuf en consommant les réserves qu’il contient, à l’intérieur des voies génitales de la femelle jusqu’à son éclosion. La femelle donne alors naissance à des jeunes immédiatement actifs, autonomes et indépendants.

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 Aucune zone de contact n’est connue entre ces deux sous-espèces vivant en France. Rien ne permet de les distinguer, sinon le mode de reproduction différent.

La distinction entre les trois autres sous-espèces, Zootoca vivipara carniolica, Zootoca vivipara pannonica et Zootoca vivipara sachalinensis, est également difficile sans indication de l’origine ou d’analyses génétiques.

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4-2 Informations sur la viviparité

Officiellement, la viviparité est un mode de reproduction où le développement embryonnaire a lieu à l’intérieur de l’organisme de la femelle qui fournit directement les apports nutritifs et met au monde des jeunes entièrement formés.

Or, il n’y a pas chez la sous-espèce  Zootoca vivipara vivipara d’apport nutritif direct de la mère à l’embryon mais consommation des réserves contenues dans l’œuf. A ce stade de l’Evolution, il est simplement devenu ovovivipare!

Donc, la dénomination de « Lézard vivipare » est dans tous les cas mal appropriée pour nos deux sous-espèces. Le Lézard vivipare de Lantz est resté ovipare et le Lézard vivipare est en fait ovovivipare!

Lézard vivipare de Lantz.

Lézard vivipare de Lantz.

Ce lézard, bien représenté dans cette tourbière, est plutôt timide. Il n’est pas facile à photographier et il est plus rapide que moi la plupart du temps.

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4-3 Le Lézard des murailles

Le Lézard des murailles (Podarcis muralis) est également présent sur la tourbière : il faut faire attention de ne pas le confondre avec le Lézard vivipare de Lantz! Il se laisse plus aisément photographier que ce dernier. L’espèce est elle aussi ovipare.

lézard des murailles 2

14 août – Le Lézard des murailles, dans la zone d’une tourbière annexe.

lézard des murailles

14 août – Le Lézard des murailles dans la zone d’une tourbière annexe, ici un mâle en période nuptiale reconnaissable à la présence de quelques ocelles bleues sur les flancs.

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« Gardons à l’esprit que lorsqu’on achète de la tourbe en jardinerie pour nos plantes,

on contribue à la disparition de plusieurs milliers d’années de notre histoire ».

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V- Webographie

Article rédigé à partir de mes photos, des panneaux de présentation de la tourbière sur le site (fournis par le Parc National, cité) et de sources internet, en particulier :

_ Tourbières de Pédestarrès – Diagnostic de l’écocomplexe : www.tela-botanica.org/actu/IMG/CCTP.doc

_ Le Lézard vivipare – Synthèse bibliographique : www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/syntheses-bibliographiques-especes/131219_lezard_vivipare_avril2012.pdf

_ Extension géographique des populations ovipares de Lacerta vivipara – Benoît Heulin et Claude Guillaume : www.lacerta.de/AF/Bibliografie/BIB_845.pdf

_ france3-regions – L’azuré des mouillères ou l’incroyable histoire d’un papillon qui se faisait passer pour une fourmi (voir en particulier la vidéo BBC en fin d’article) : https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/azure-mouilleres-incroyable-histoire-papillon-qui-se-faisait-passer-fourmi-1833660.html

_ Clé simplifiée des rhopalocères d’Aquitaine : https://cdnfiles2.biolovision.net/www.faune-aquitaine.org/userfiles/Fichestechniques/cldesrhopalos.pdf

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